Jean-Claude Delhez
29/6/2025
Vous rappelez-vous d'un terme fort à la mode par le passé, disparu aujourd'hui : l'enlisement ? Il fait référence à la guerre du Vietnam et aux USA contraints de se désengager au bout d'une dizaine d'années d'une guerre qu'ils ne gagnaient pas et que la population soutenait de moins en moins. À partir de là, l'enlisement était devenu une hantise. Il ne fallait pas risquer de s'embarquer dans un conflit interminable qui ferait descendre la population dans la rue en vue de manifester à son encontre.
Pourtant, aujourd'hui, l'Occident soutient l'un des plus longs conflits de l'histoire. Cela fait 11 ans qu'on se bat en Ukraine, et ce n'est pas fini. Soutien discret jusqu'en 2022, soutien massif depuis l'invasion russe. Mais personne ne descend dans la rue pour s'en plaindre. Certes, ce sont les Ukrainiens et les Russes qui meurent. Malgré tout, l'Occident y est largement engagé, par les livraisons d'armes, par le financement, par l'entrainement des troupes ukrainiennes, par les nombreux déploiements aux frontières, par les menaces d'escalade avec l'épée de Damoclès nucléaire en arrière-plan, etc.
En y réfléchissant, on se rend compte que la propagande occidentale a trouvé un moyen imparable d'acceptation du conflit : l'ennemi ne veut pas la paix. Je m'explique. Depuis Clausewitz, on sait que la guerre est la poursuite de la politique par d'autres moyens. C'est-à-dire que la guerre vise à atteindre un but politique. Et pour l'atteindre, il faut gagner. C'est l'argument que la propagande occidentale a employé pendant un an ou deux afin de faire accepter par la population l'engagement au sein du conflit. L'idée était la suivante : il faut soutenir Kiev parce que ce soutien va déboucher sur une victoire ukrainienne grâce à une contre-offensive qui va repousser l'armée russe (voire faire tomber le régime, comme on a dit aussi pour l'Iran, il y a peu). Pour qui connaissait le sujet, ça ne tenait pas la route. Mais la propagande s'adresse au quidam, aux millions de personnes qui ne maîtrisent pas les nuances de l'affaire et à qui il est facile de faire avaler des couleuvres. Malgré tout, au bout d'un moment, il était difficile de poursuivre dans la même logique, de faire croire que l'armée ukrainienne allait reconquérir les territoires perdus. Dès lors, le conflit n'a plus de but, la guerre n'a plus de sens. Dans ce cas-là, qu'est-ce qu'on fait ? On arrête les frais, pour éviter que la situation ne se dégrade, que l'Ukraine s'enfonce toujours plus dans les destructions, les morts, la défaite et la faillite ? Non, on continue. Et c'est là qu'intervient le recours au déni de paix. Je m'explique à nouveau. Qui connaît le conflit sait très bien que la Russie a toujours été disposée à négocier, qu'elle n'a cessé de le déclarer et qu'elle a participé à de nombreux pourparlers à ce sujet. Sans remonter aux accords de Minsk, on peut citer les négociations avec Kiev en 2022 en Biélorussie, puis à Istanbul où un accord avait été trouvé pour mettre fin au conflit, accord qui a été saboté par les Occidentaux, dont Boris Johnson (si Zelensky l'avait signé, la guerre serait finie depuis 3 ans et l'Ukraine aurait conservé ses frontières de l'est). Ensuite, Kiev a fermé la porte en prenant un décret qui interdit de signer quoi que ce soit avec la Russie tant que Poutine est au pouvoir. Malgré tout, Lavrov et Poutine ont répété à plusieurs reprises qu'ils restaient prêts à négocier afin de mettre fin au conflit (voir, parmi d'autres, l'interview de janvier 2024 avec Carlson). Et c'est encore la Russie qui est à l'origine des nouveaux pourparlers d'Istanbul, qui viennent de se dérouler. Malgré le rejet définitif du mémorandum russe par Zelensky, Poutine vient encore d'annoncer, ce vendredi à Minsk, qu'il était prêt à engager de nouvelles négociations avec Kiev.
Or, la propagande occidentale transforme la réalité pour expliquer que la Russie ne veut pas la paix. Ce qui est tout de même le contraire de la vérité (mais plus c'est gros...). C'est l'inversion accusatoire : prêter à l'autre ses propres intentions. L'avantage de ce mantra, répété à souhait, c'est d'ancrer dans le cerveau du citoyen lambda l'idée qu'il n'y a pas d'autre solution que d'accepter la poursuite de la guerre, avec tout ce qui l'accompagne (financements, sanctions, etc.). Si celui qu'on présente comme l'ennemi ne veut pas s'arrêter de batailler, ainsi qu'on le fait croire, il faut bien que ceux qui sont en face continuent à se défendre. C'est ce que les anglo-saxons appellent T.I.N.A. : There Is No Alternative. Il n'y a pas d'alternative. On construit une réalité artificielle qui place le citoyen devant un non choix, devant une voie unique. La Russie demande à négocier depuis toujours, mais il faut faire croire qu'elle ne veut pas la paix, ce qui permet de poursuivre la guerre éternellement. Et ça fait 11 ans que ça dure.
Les Européens sont retords. La Russie affirme depuis l'origine qu'elle veut une paix définitive et non un cessez-le-feu. Pourquoi ? Parce qu'elle s'était fait rouler lors des accords de Minsk, avant 2022, en acceptant un cessez-le-feu qui était en réalité employé par l'Ukraine pour se réarmer en vue de reprendre l'offensive. Dès lors, elle ne veut plus de cessez-le-feu mais une paix qui résout tous les contentieux afin que le conflit ne puisse plus reprendre. Du coup, que propose Kiev, avec le soutien de l'Europe ? Un cessez-le-feu. Et on utilise ensuite le refus de Moscou pour affirmer : Vous le voyez bien, ce sont les Russes qui ne veulent pas la paix. Et le commun des mortels, qui ne sait même pas ce qu'étaient les accords de Minsk, avale cette propagande à grandes gorgées.
Chacun pourrait se rendre compte de la mystification en abordant le problème par l'autre bout. Laissons les Russes de côté. Voyons les Européens. Il y a quelques jours, juste après qu'Israël avait commencé à bombarder l'Iran, qu'ont-ils fait ? Ils ont reçu, à Genève, le ministre des Affaires étrangères iranien pour tenter de trouver une issue au conflit. En quelques jours à peine, ils étaient engagés sur le front de la diplomatie pour tenter d'arrêter cette guerre. En comparaison, depuis 2022, pendant trois ans et demi, qu'ont-ils proposé pour résoudre le conflit en Ukraine ? Rien. Si, livrer des armes, entraîner des troupes... Et ils prétendent que ce sont ceux d'en face qui ne veulent pas négocier. Ainsi forgent-ils la conscience de l'homme de la rue : il n'y a pas d'alternative, il faut continuer à armer Kiev. Que voulez-vous qu'on fasse d'autre, mon pauvre Monsieur ? On est bien obligés, c'est ce salaud de Poutine qui ne veut pas la paix.