Gabriel Nerciat
C’est proprement magnifique, je trouve : dans l’art de la propagande de guerre, la société de l’information globale qu’a construite l’Occident depuis les années 1970 constitue elle aussi, sans doute, un point d’abêtissement collectif qui est vraisemblablement sans retour.
En effet, si l’on consulte les journaux de la période 1914-1918, pourtant soumis à une censure gouvernementale extrêmement pointilleuse et sévère, comme l’ont fait plusieurs historiens de la période (Pierre Miquel, John Keegan et Paul-Marie de La Gorce, notamment), on se rend compte que les impératifs inhérents au contrôle de l’information n’empêchaient nullement les journalistes français ou britanniques de restituer assez fidèlement l’évolution du front, et même d’émettre certains jugements parfois peu amènes sur le commandement militaire.
Il faut voir ainsi ce que le futur maréchal Joffre, pourtant héros national depuis la victoire de la Marne et chouchou des gouvernements radicaux-socialistes de l’époque, a pris dans la figure en 1916, au moment de l’offensive allemande inattendue décidée par le Kronprinz sur le fort de Douaumont à Verdun.
Je me demande qui oserait écrire ou dire le quart de la moitié de ce qu’osèrent les plumes de l’époque à l’encontre du pétomane de Kiev ou de son état-major ukronazi, alors même que leur grande contre-offensive dans le Khersonais, vendue à l’opinion européenne comme décisive il y a dix jours, est en train de tourner au fiasco aussi sanglant qu’inutile (même en Ukraine, un général a évoqué jusqu’à 800 morts par jour dans les rangs de l’armée de Kiev depuis une semaine, pour un bilan stratégique qui est presque nul, du moins à l’heure où j’écris).
On sait également que les premiers documents cinématographiques sur la guerre moderne datent des tranchées de la Première Guerre mondiale (même si pas mal des images qu’on revoit souvent à la télévision sur le chemin des Dames ou le front de la Somme ont été en réalité reconstituées après le conflit avec d’anciens combattants).
Or, aujourd’hui, après plus de six mois de conflit ininterrompu aux portes de la Russie, alors même que se déverse sur les chaînes d’information continue, surtout celle de TF1 (Martin Bouygues junior ne veut apparemment rien rater des fruits du marché de la reconstruction de l’Ukraine « ukrainienne »), un flot de propagandes absolument sans retenue et sans limites assignées au ridicule (même Courteline n’aurait jamais eu l’idée d’un général Yakovleff, phénoménal Matamore hâbleur et galonné, ou d’un bonimenteur sentencieux aussi grotesque que Pierre Servent), on se rend compte qu’il est extrêmement difficile de se procurer dans les médias assermentés des descriptions à la fois précises et irréfutables (c’est-à-dire sourcées de manière indépendante) de l’évolution quotidienne du front – que ce soit dans le Donbass, dans le Khersonais ou dans la région de Kharkov.
Ne parlons même pas d’une quelconque image des combats : il n’y en a aucune – Zelensky ayant interdit à toute caméra étrangère d’approcher des lignes de front.
Pour autant, la société libérale continue à se gargariser de ses grands sermons sur la liberté de la presse, l’indépendance des médias, la séparation des pouvoirs, le droit à l’information, la lutte contre le despotisme totalitaire des poutino-bolcheviks – ou autres fadaises pour euro-atlantistes trépanés.
On dirait, comme dans un roman de Kafka adapté au cinéma par Orson Welles, les tenanciers d’un bordel qui donneraient un spectacle sur la passion de Jeanne d’Arc tous les soirs de la semaine, en faisant tenir le rôle de la Pucelle par rotation à plusieurs des filles de l’établissement devant leurs clients médusés.
Ceci dit, il en faudrait plus pour que nos clercs bellicistes en viennent à douter d’eux-mêmes : hier encore, LCI a obtenu le grand prix CB News récompensant la « meilleure chaîne d’information de France » (sic).
Je trouve la récompense aussi grandiose que Charles Ponzi recevant la médaille du mérite des mains de Al Capone en personne.