H16
[extraits]
Ah, finalement, qu’il est doux d’être journaliste en France dans un journal de révérence !
Jadis, c’était un travail fatigant, voire stressant et parfois même risqué : il fallait aller chercher l’information directement sur le terrain et la corroborer le carnet de notes à la main. Certains événements pouvaient impliquer de mettre sa vie en danger ; et certaines informations, une fois obtenues, pouvaient signifier une exposition directe aux rétorsions des puissants…
Heureusement, en France, ce temps est révolu : de nos jours, les nouvelles, rédigées de façon presqu’automatique par l’Agence Fausse Presse, sont religieusement reprises, fautes d’orthographe comprises, par toutes les officines médiatiques estampillées « Source fiable ». Parfois, le journaliste en rédaction exécutera un petit travail d’illustration et quelques remaniements de phrases pour donner un petit caractère original à la notule fraîchement démoulée. La plupart du temps, le copier-coller sera l’opération la plus complexe menée pour transmettre l’information.
Et pour ce qui concerne les contenus, ils seront méticuleusement choisis pour ne surtout froisser personne aux étages influents : la presse française a, depuis longtemps, abandonné toute velléité d’informer, d’analyser et de décortiquer une information, aussi épineuse soit-elle, pour ne plus se concentrer que sur les histoires qu’il faudra enrober avec plus ou moins de talent pour la diffuser habilement.
Comme le disent les anglo-saxons, elle a troqué l’information pour le « narratif ».
Pourtant, les sujets d’importance ne manquent pas : l’inflation galopante, l’impéritie patente du gouvernement, les choix calamiteux du locataire de l’Élysée, la situation internationale ou l’insécurité en France, … Mais voilà : tout cela est quelque peu risqué pour le modèle économique actuel de la presse française.
Eh oui : fermement tenue par le portefeuille, noyée dans des subventions anesthésiantes, elle n’a aucune incitation économique à chercher la vraie information, l’analyse solide et un lectorat attentif. Dès lors, la petite éditocratie germanopratine se concentre sur les chiens écrasés et les plus croustillantes de ces anecdotes produites sur Twitter, magnifique chambre d’écho de la classe jacassante. Tout bien considéré, cette méthode reste moins chère, nettement moins risquée et tout aussi gratifiante que de faire des enquêtes et des articles de fond que beaucoup de Français ne peuvent trouver qu’ailleurs, loin de ces canaux officiellement sanctionnés et irrigués.
L’écart avec ce qui existe encore dans la presse internationale (britannique ou allemande, par exemple) est cruel et la plupart du temps, la presse française ne semble plus être qu’un dernier wagon dans le train de l’information et de l’analyse qu’on peut trouver maintenant partout sur internet…
Le résultat est sans appel. Le système politico-médiatique actuel est tellement bureaucratisé, subventionné, arqué sur ses petites habitudes, ses gros travers et son entre-soi bien cadré que les effets de monopole se font maintenant sentir sans plus la moindre retenue : le prix de l’entretien et de la maintenance de ce pitoyable barnum médiatique s’accroît alors même que la qualité du produit final s’effondre. Le contribuable français coule un pognon de dingue dans des médias (radios, télévisions, presse écrite) pour obtenir en retour une propagande oscillant systématiquement entre l’infantilisation et l’insulte pure et simple, et où – si l’on s’en tient aux fines analyses de notre presse d’exception – personne ne semble s’offusquer que le président de la République passe son temps en onde pour nous expliquer la bonne température des chambres, le nombre de douches idoines pour rester propre.
Le constat mérite d’être répété : ce pays est foutu, et c’est notamment parce que le quatrième pouvoir s’est vautré dans la paresse et la lâcheté.