Translate

29 septembre 2022

Italie : délires « antifascistes » et réalité européenne

Denis COLLIN

Ainsi donc, les électeurs ita­liens ont permis qu’arrive au pou­voir une coa­li­tion de droite dont désor­mais le prin­ci­pal parti est Fratelli d’Italia (FdI), secondé par le parti de Berlusconi (Forza Italia) et le parti de Matteo Salvini, la Lega. Immédiatement, les gran­des orgues de l’anti­fas­cisme se sont déclen­chées notam­ment en France, les divas de la NUPES bat­tant tous les records du ridi­cule et de la bêtise, talon­nées de près par quel­ques ténors macro­nis­tes, la pre­mière minis­tre incluse. Mme Rousseau, la plus bête, la plus inculte et la plus méchante de la bande, nous invi­tait même à enton­ner « les loups sont entrés en Italie », alors que la louve est le sym­bole de Rome et de Sienne.

Laissons la bêtise des bêtes de côté. La réa­lité est que FdI réa­lise le score somme toute modeste de 26 % des voix et que l’ensem­ble de droite est en des­sous de 45 %. Donc une majo­rité d’électeurs ita­liens ont voté contre eux, notam­ment pour le PD de Letta et les « Cinq étoiles » de Conte. Toutes les études mon­trent que c’est l’éparpillement des voix du « centro sinis­tra » qui a pemis à la Meloni d’obte­nir la majo­rité. Notamment le sec­ta­risme d’Enrico Letta qui voyait déjà le M5S à terre à sou­vent permis l’élection d’un can­di­dat de droite là où un PD ou un M5S pou­vait gagner. Pas de raz-de-marée, ni même de trans­for­ma­tion pro­fonde des rap­ports de force électoraux. En revan­che deux phé­no­mè­nes sont à noter : d’une part, les dépla­ce­ments au sein de la « droite » en direc­tion de Meloni, d’autre part l’éparpillement façon puzzle de la « gauche ».

Au sein de la droite, Meloni rafle la mise au détri­ment prin­ci­pa­le­ment de la Lega qui se fait étriller dans ses bas­tions du Nord, notam­ment en Vénétie, pas­sant natio­na­le­ment de 34 % à 9 %. Ici les régle­ments de comp­tes ont déjà com­mencé. Bossi, l’ancien chef de la Lega, écarté un temps pour quel­ques indé­li­ca­tes­ses finan­ciè­res, et Roberto Maroni, ancien pré­si­dent de la Lombardie, deman­dent la démis­sion de Salvini. Berlusconi avec son maigre score de 8 % (sans chan­ge­ment) est mal parti pour finir au Quirinal, quand l’heure du rem­pla­ce­ment du pré­si­dent Mattarella aura sonné. En vérité, Meloni tire les mar­rons du feu parce que ses deux aco­ly­tes étaient mem­bres du gou­ver­ne­ment pré­cé­dent de Draghi, aux côtés du PD ! C’est aussi simple que cela.

À « gauche », c’est-à-dire du côté des équivalents ita­liens de Macron et de quel­ques autres grou­pes et grou­pus­cu­les, c’est parti dans tous les sens. Le M5S limite la casse à 15 % alors qu’il était concur­rencé par le groupe de l’ancien minis­tre M5S di Maio qui a pris une raclée. C’est sur­tout dans le Sud que le M5S défend et conforte ses posi­tions. Les divers grou­pes annexes du PD comme le groupe de Matteo Renzi végè­tent. Le PD est en baisse à 19 % à peine et Letta est sur un siège éjectable. Ceux qui dis­pa­rais­sent corps et biens, ce sont les amis ita­liens de Mélenchon, l’Unione Popolare, ras­sem­blant Rifondazione, le PCI et diver­ses autres cabi­nes télé­pho­ni­ques d’extrême gauche — les son­da­ges en font à peine men­tion. Ils récol­tent 1,43 % des voix !

Sur le fond, les Italiens sem­blent tota­le­ment indif­fé­rents à cette élection. Ils ont fai­ble­ment voté : 64 %, ce qui est peu pour des Italiens ! La cam­pa­gne a été de facto inexis­tante. Elle a agité les réseaux sociaux, les poli­ti­ciens pro­fes­sion­nels, et c’est à peu près tout. L’élection de Meloni a pas été saluée par des défi­lés de vic­toire ni par des ras­sem­ble­ments de pro­tes­ta­tion. La majo­rité du peuple com­prend que, comme le titrait le Fatto Quotidiano, « on vote en Italie, mais on décide ailleurs ». Cette élection est donc fon­da­men­ta­le­ment une gui­gno­lade, un spec­ta­cle, car rien ne chan­gera. L’étrange atte­lage Conte-Salvini de 2018 avait pro­duit quel­ques débuts de chan­ge­ment, mais là il n’y aura rien. Meloni a donné des gages à l’UE et à l’OTAN. Elle s’est enga­gée à pour­sui­vre la poli­ti­que d’aus­té­rité de Letta. Elle a la béné­dic­tion de Washington et conti­nuera la contri­bu­tion ita­lienne en Ukraine. D’ailleurs Zélensky a salué la vic­toire de Meloni, espé­rant qu’elle allait ren­for­cer sa col­la­bo­ra­tion..

Comment peut-on parler de fas­cisme ? Le fas­cisme est un parti révo­lu­tion­naire. Mme Meloni est sur­tout conser­va­trice. Le fas­cisme s’appuie sur des bandes armées en vue d’écraser le mou­ve­ment ouvrier. Mme Meloni n’a aucune bande armée et, de toute façon, il n’y a aucun mou­ve­ment ouvrier mena­çant à écraser. Le fas­cisme est sou­tenu par le grand capi­tal. Certes, celui-ci, ras­suré, accepte la vic­toire de Meloni, mais Letta lui allait très bien ! Enfin le fas­cisme a un projet tota­li­taire, reven­di­qué par Mussolini en son temps. Meloni ne veut rien chan­ger sur le fond. Son pro­gramme inclut la trans­for­ma­tion de la République ita­lienne en pré­si­den­tia­lisme « à la fran­çaise ». Pour le reste, elle est catho­li­que et conser­va­trice en matière socié­tale. Une Boutin qui aurait réussi ?

Il est vrai qu’elle récolte une partie du vote popu­laire. Pourquoi ? Tout sim­ple­ment parce qu’elle fait mine de pren­dre au sérieux la ques­tion de l’immi­gra­tion. Elle veut repren­dre la ques­tion là où le gou­ver­ne­ment Salvini-Conte l’avait lais­sée. Pour des rai­sons géo­gra­phi­ques faci­les à com­pren­dre, l’Italie est le point d’arri­vée pri­vi­lé­gié des pas­seurs qui s’enri­chis­sent sur le dos des migrants. Avec les pau­vres et les réfu­giés s’agglu­ti­nent la lie de la société, toutes sortes de mafias. Ainsi la petite sta­tion chic de Castel Volturno, au nord de Naples, est tombée entre les mains d’une mafia nigé­rienne qui s’en sert comme point d’appui pour le trafic de drogue et de chair de frai­che. Mais Meloni pointe sur­tout l’immi­gra­tion musul­mane. Elle veut défen­dre l’Italie contre la sub­mer­sion et dit aux immi­grés que ceux qui n’aiment pas la croix peu­vent retour­ner les eux. Les clas­ses moyen­nes supé­rieu­res peu­vent rire de ces dis­cours. Mais les gens d’en bas, qui tirent le diable par la queue, enten­dent Meloni, parce que, sur ce plan, elle dit ce qu’ils pen­sent.

Il y a une deuxième chose que Meloni prend au sérieux, quand elle défend « la famille natu­relle » : à part dans les cou­ches supé­rieu­res, tous les déli­res fémi­nis­tes nou­velle mode, LGB et trans sont mas­si­ve­ment reje­tés. Les gens en ont assez qu’on leur casse les pieds avec les his­toi­res de cul des petits bour­geois. L’Italie n’a jamais été into­lé­rante vis-à-vis des homo­sexuels, loin de là, mais les gens du peuple défen­dent la famille. Et ici encore Meloni vise juste.

Enfin Meloni est « nata­liste ». Elle veut encou­ra­ger les Italiennes à faire des enfants et pro­pose des mesu­res socia­les dans ce sens, mesu­res tota­le­ment incom­pa­ti­bles avec l’aus­té­rité et les direc­ti­ves de Madame UvL, la nou­velle dic­ta­trice en chef de l’Europe. Mais il y a pour les Italiens un vrai pro­blème, un pro­blème de survie. Avec un taux de fécondité de 1,35 enfants par femme, l’Italie perdra un quart de sa popu­la­tion d’ici trente ans. Il y a déjà beau­coup de mai­sons vides, de maga­sins fermés, même sur les gran­des ave­nues de Rome. On sait bien que les mesu­res nata­lis­tes ne peu­vent pas grand-chose face à la perte de confiance dans l’avenir. Mais la posi­tion de Meloni n’est pas scan­da­leuse, ni fas­ciste.

On nous fait encore tout un tin­touin sur l’IVG. Meloni est hos­tile à l’IVG – c’est tout de même son droit – mais ne pro­pose pas d’en remet­tre en cause le droit. Pour nos bons gau­chis­tes, disons qu’elle est ici sur la posi­tion de Pier Paolo Pasolini…

La seule chose qu’on peut vrai­ment repro­cher à Meloni, c’est qu’elle a cons­truit son succès sur une escro­que­rie. Beaucoup d’Italiens ont voté pour elle en croyant voter pour briser le carcan euro­péiste qui les étrangle. Mais ils vont devoir dès demain déchan­ter. Tous les partis les ont trom­pés et Meloni aussi ! Comme ils auront tout essayé, peut-être seront-ils tentés par d’autres voies moins res­pec­tueu­ses des ins­ti­tu­tions, des « gilets jaunes » à l’ita­lienne ou autre. L’avenir le dira.