Vincent Verschoore
On peut passer des heures à lire et écouter des économistes des deux côtés de l'Atlantique, et rester dans l'incertitude sur les causes profondes de la situation actuelle, les manières d'y remédier, et le temps que cela va prendre pour revenir à une forme de "normalité".
Quand rien ne va, un retour aux principes fondamentaux n'est jamais perdu, et un principe fondamental en économie est que l'accroissement de la masse monétaire sans contrepartie mène à l'inflation.
C'est précisément pourquoi, suite à la forte inflation des années 70, il fut décidé d'interdire aux banques centrales de faire tourner la planche à billets, pour les obliger à faire des emprunts sur les marchés financiers, donc avec un coût (l'intérêt), donc avec parcimonie.
Ce qui n'a pas empêché de nombreuses économies de vivre de plus en plus à crédit du fait de taux bas, mais la crise de 2008 a emmené l'économie occidentale (pour faire simple) en territoire inconnu, en explosant les niveaux de création monétaire (donc de dette) afin de soutenir la demande.
Depuis 2008, en effet, les banques centrales (FED et BCE en tête) on relancé la planche à billets, créant de l'ordre de 30 mille milliards de dollars, redistribués dans l'économie en bonne partie sous forme spéculative. C'est ça qui fait grossir les bulles immobilières et boursières.
Cette somme correspond en gros à 40% du PIB mondial. Normalement, l'inflation aurait du suivre très vite, mais apparemment non. Cette nouvelle situation est parfois décrite sous le terme "théorie monétaire moderne", ce que l'appelle plus prosaïquement "l'argent magique" et objet d'un article en 2020 intitulé, justement, "le mystère de l'argent magique".
Le "quoi qu'il en coûte" covidien, en effet, semblait confirmer que les États pouvaient désormais accumuler des dettes fabuleuses, sans effet sur les taux d'intérêts (devenus parfois négatifs) ni sur l'inflation.
Sauf que non. Même sans prendre en compte les prix actuels de l'énergie, liés à des facteurs conjoncturels, l'inflation est finalement sortie du trou noir où les économistes des banques centrales espéraient l'avoir enfermée, et désormais on ne voit guère que trois issues :
1) Retirer de l'économie le surplus monétaire, via des taux directeurs élevés (à hauteur de l'inflation), ce qui crashe les marchés et entraîne les récessions, mais réduit l'inflation et les sur-évaluations, permettant de revenir à des prix "réels".
2) Augmenter massivement l'offre en biens et services afin de réduire leurs prix. En effet, si on double la production d'un produit, pour une même demande, le prix doit théoriquement se trouver divisé par deux, d'où à nouveau une réduction de l'inflation.
3) Un reset massif du système bancaire, piloté ou non.
L'Europe, du fait de l'incompétence crasse de ses dirigeants, est dans la situation la pire : la BCE n'ose pas relever franchement les taux d'intérêts (moins que la FED), coule l'Euro ce qui rend les importations encore plus chères (donc inflation), et ce qui lui reste d'industrie se saborde au profit de l'idéologie euro-atlantiste (sanctions russes menant à une crise de l'énergie).
Bien malin qui peut prédire ce qu'il va se passer dans six mois, un an, deux ans. Pour certains, la pression des marchés et les effets de la récession vont rapidement obliger la FED (et la BCE) à limiter les hausses de taux, et à accepter une inflation dans les 5% plutôt que les 2% considérés comme acceptables. On ne règle pas le problème, on met un cataplasme temporaire.
Pour d'autres, les hausses de taux vont continuer encore un an ou deux, afin de "vider" l'économie de son trop-plein monétaire, et durablement juguler l'inflation. Mais avec un coût économique et social important, ce qui mènera à des révoltes (ça a déjà commencé), donc là on rentre de plain-pied dans des formes de régimes autoritaires.
Un scénario qui transparaît dans le discours politique: les références à "l'économie de guerre" sont désormais nombreuses, et l'on présente la guerre (avec la Russie, a priori) comme un futur incontournable justifiant, bien sûr, des trains de mesures hautement liberticides du genre des monnaies numériques des banques centrales (MNBC) et autres formes de crédit social.
Il va falloir, comme le dit Macron, "payer pour notre liberté". Hum...
Enfin, la rupture en cours entre le monde occidental dominé par l'économie américaine et le dollar d'un côté, et les BRICS++ de l'autre qui sont en train de s'inventer un système monétaire hors de portée du grand prédateur US, va certainement impacter nos économies, et sans doute imposer une nouvelle relation à la monnaie, beaucoup plus concrète.