Yann Bizien
Les récentes attaques ukrainiennes par drones armés au cœur du territoire national russe accélèrent et aggravent une nouvelle fois l’escalade militaire et ce que l’on qualifie, dans le langage de la guerre, la « montée aux extrêmes ».
La Russie pourrait considérer ces agressions militaires comme une humiliation insupportable et inacceptable, une atteinte manifeste à son intégrité territoriale et à sa souveraineté et comme une attaque particulièrement grave sur ses « points d’importance vitale ».
C’était sans doute un des buts stratégiques du régime ukrainien, appuyé par l’OTAN. Car ces attaques ont forcément eu un impact sur l’opinion du peuple et sur le moral des troupes russe. Elles incarnent une sorte de réaction militaire aux multiples bombardements russes contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes.
Le problème de l’escalade et de la montée aux extrêmes est que ces deux phénomènes peuvent contribuer à l’emballement militaire entre belligérants, à la perte de toute rationalité dans la conduite de la guerre, à des risques de représailles avec l’usage d’armes encore plus létales, jusqu’au conflit généralisé, total et mondial.
Dans la montée aux extrêmes, chaque partie cherche à mobiliser le maximum de ressources et de puissance militaire pour agir sur la détermination et sur la volonté de l’autre afin de le contraindre, de l'amener à céder et de s’imposer.
La guerre est connue. Elle a été étudiée jusqu’au Néolithique. Elle est une lutte à mort qui peut potentiellement perdre toute limite. Elle dépend de tous les aspects d’une société et en particulier de son aptitude à se mobiliser entièrement.
La guerre est plus ou moins efficace en fonction des moyens utilisés et de l’état de cohésion du pays qui engage ses forces militaires. Mais elle dépend de bien d’autres ressources comme le nombre de combattants, la qualité du recrutement, de la formation et de l’entraînement, mais aussi le perfectionnement, la sophistication, l’intelligence et la rusticité des armes, l’efficacité logistique et celle de la maintenance industrielle, l’état des ressources démographiques nationales, morales, économiques, cognitives et la bonne coordination de tout ceci.
La complexité et l’ampleur des moyens mobilisés font toujours de la guerre de haute intensité un phénomène total, au sens où toutes les dimensions géographiques, psychiques, morales, économiques, industrielles, matérielles, doctrinales, stratégiques, tactiques et jusqu’à l’habileté des dirigeants sont concernées.
Ainsi vont la dialectique et les antagonismes de la guerre. Car les enjeux de la guerre portent souvent aussi sur des besoins de puissance, de revanche, de richesses, d’espaces vitaux, de profondeur stratégique, de prestige et de pouvoir. Il s’agit ici de ressorts que l’on retrouve à l’origine de la plupart des conflits entre les humains.
Nous savons que le pouvoir à l’intérieur du pays comme à l’extérieur est probablement l’enjeu principal de la guerre et certainement le plus constant à travers tous les âges et tous les stades de l’aventure guerrière de l’humanité. Sa place est d’autant plus éminente, qu’en disposer procure simultanément l’accès le plus sûr au prestige et à la richesse.
La Russie et L’Ukraine ne peuvent donc ni perdre ni gagner cette guerre qui reste difficile à qualifier tellement les causes pouvant l’expliquer et la justifier sont multiples, anciennes et complexes : guerre civile dans un premier temps entre populations pro occidentale et pro russe, « opération spéciale », guerre de survie, guerre d’indépendance (pour l’Ukraine), guerre de frustration et de conquête pour la Russie qui cherche à retrouver de l'épaisseur stratégique après la dislocation du Pacte de Varsovie, guerre entre deux modèles de civilisations, guerre par procuration, guerre de rivalités entre la Russie et les États-Unis appuyés par la plus grande et la plus longue organisation politico-militaire de tous les temps, l’OTAN. Et nous pourrions donner à cette guerre encore d’autres définitions, en particulier quand nous savons que la Russie n'a jamais accepté "l'otanisation" de ses anciens pays satellites par l'Occident décadent.
Tout conflit peut donc très vite dégénérer en lutte à mort. Ne pas perdre cette guerre est par conséquent aujourd’hui le choix stratégique fondamental des parties à ce conflit. Il préside à toutes les décisions.
En conclusion, depuis l’implosion du l’Union soviétique, les États-Unis se sont méthodiquement arrangés pour rendre un jour cette guerre inévitable en faisant en sorte que ses conséquences puissent servir leurs propres intérêts de puissance. Le problème est que cette guerre voulue par les Américains pour accentuer leur emprise sur notre continent doit prendre fin, que la violence doit cesser, que les dommages humains, matériels et économiques sont déjà immenses, qu’il importe d’activer au plus vite un canal diplomatique entre la Russie et l’Ukraine et de mettre sur la table des négociations les conditions mutuellement acceptables d’une paix d’équilibre.
Et dans ce domaine, l’ONU reste encore inexistante et impuissante. Elle ne régule plus rien. Autre leçon de notre temps.