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25 décembre 2022

Conte (grinçant) de Noël

SAUMON CHANTANT

- 25/12/2022 -

L'année a été grinçante, voici un conte de Noël à son image.


LA CLAIRIÈRE

Maria posa son ventre sur ses genoux
Ils s’étaient arrêtés dans une clairière tout au bord de l’eau
Ils étaient arrivés
Maria était une fille vive
Intelligente
Très intelligente même
Mais là, elle se sentait un peu moins vive
Moins vive et même assez fatiguée.

MARIA

Être très, très intelligent c’est une chance
Enfin, paraît-il
Enfin, en général
Car dans certains cas, cela peut être une plaie.
Cela avait été celle de Maria.
Parfois, elle aurait préféré de ne pas être si déconnectée de ses proches
Autour du feu, les blagues ne volaient pas haut. On n’aurait même pas pu parler de rase motte.
Autour du feu, on était sous le niveau du sol, au plus profond du réseau des taupinières.
Cela lui avait cassé la tête à Maria d’être cantonnée au camp, à devoir s’occuper des repas, à devoir écouter ça.
Alors, toutes les occasions d’évasion avaient été bonnes à prendre. Elle s’était portée volontaire pour les rafles dans les maisons vides, les supermarchés et le fond des poches des passants.
Simplement pour prendre l’air, pour arrêter de suffoquer.
Et puis, il était vrai que l’on pouvait tomber sur des trucs pas mal.
Maria ne s’intéressait pas aux bijoux.
Maria ne s’intéressait pas aux bijoux et c’était heureux.
La dernière petite fille qui avait tenté de garder pour elle une bague avec un brillant y avait perdu son doigt.
On ne rigolait pas avec ce qui brillait dans l’entourage de Maria.
Mais Maria avait adoré les récoltes à la librairie.
Elle s’était intéressée aux livres et aux téléphones.
Précisons : pas les téléphones pour appeler des amis !
De toute façon, impossible d’appeler des amis quand on n’a pas d’ami (politique et réputation familiales obligent).
Maria aimait les téléphones « intelligents ». Ceux avec lesquels on pouvait tout faire.
Car, même sans ami, rien n’empêchait de découvrir le monde sur la « TOILE ».
Et quand on dit découvrir le monde, c’était vraiment tout le monde et même l’espace autour.
Sur la TOILE on pouvait voir les ÉTOILES !
Ces petits appareils lui avaient ouvert l’accès illimité à la grande encyclopédie du savoir universel.
Bon, à vrai dire, l’accès illimité à la bêtise universelle aussi.
Mais ça, Maria y avait à peu près échappé finalement. Les algorithmes la renvoyaient sur des sujets les plus divers, divertissants ou pointus en évitant les chemins de la stupidité crasse puisque c’était visiblement son choix.
La bêtise, elle connaissait ça par cœur. Alors, merci bien mais elle la repérait de loin et esquivait. Pas question d’utiliser les rams d’énergie du précieux outil (ni les siennes d’ailleurs) ni de perdre du temps pour cela. Il y avait trop de choses à découvrir.
Personne, pour une fois, ne s’était avisé de préempter le dernier appareil tombé entre ses mains. Il était moche et fissuré (pas même Candy Crush, c’est te dire la loose), invendable donc !
Elle avait donc pu garder le bidule... et tous ses doigts avec pour s’en servir.
Même si bien sûr, les doigts ne suffisaient pas et qu’il fallait aussi une tête. Mais pour ça, elle était bien équipée.
On ne va pas le répéter, Maria était très intelligente et avait su tirer un maximum de science du bidule.
On ne va pas le répéter mais en fait si, car c’est important : Maria était très intelligente et une fois de plus, cela lui avait porté la poisse !
Maria était très intelligente et c’est pour cela qu’elle avait été recrutée.
Recrutée !
Pas choisie sur photo comme certaines de ses amies d’enfance, disparues depuis dans les limbes des villes lointaines. Choisies, elles, il était facile de le deviner, pour leur sourire, leur silhouette et leur docilité (la docilité est très facile à obtenir lorsqu’on menace ta famille !).
Recrutée.
Mais le résultat était le même au final.
Maria avait disparu efficacement et sans palabre !
Cinquième roue de la caravane, elle ne manquerait à personne. De toute façon, jamais personne au camp n’aurait contacté ces chiens (tous des voleurs et des harceleurs) de la police pour signaler un enlèvement.
Son ravisseur, Maria l’avait reconnu. D’ailleurs, un enfant l’aurait reconnu. D’ailleurs, tous les enfants l’auraient reconnu ! Tous garaient leurs fesses lorsqu’il débarquait au camp.
Aussi peu physionomiste que l’on soit, difficile de ne pas se rappeler ceux dont la discrétion ne fait pas partie des méthodes travail ! Et semer la terreur nécessite en premier lieu que l’on laisse de côté la discrétion et qu’on en fasse au contraire des caisses dans le clin. et le cla.quant.
Son ravisseur, c’était l’intermédiaire local, l’homme de main et de terrain : le GAB du DAB (comprendre que Gabriel s’était distingué dans les braquages minables de distributeurs automatiques), la personne à qui s’adresser pour une demande de réparation (pas de mobylette vous l’aurez compris) ou un enlèvement.
Et bien, cette fois-ci on y était, c’était un enlèvement et c’était tombé sur elle. Et ça ne l’avançait pas à grand-chose de l’avoir reconnu le GAB puisque, cette fois-ci, il l’avait bien eue.
Car, même si à la fin cela tournerait à l’avantage de Maria que les défauts du GAB soient si bien connus (il faut dire que même en étant charitable, on était obligé de reconnaître que GAB du DAB aurait tout aussi bien pu s’appeler GAB le DEB), l’histoire avait très mal commencé et les forces en présence n’étaient pas du tout du côté de Maria.
Maria ne se souvenait de rien, en tout cas de rien avant son réveil, sanglée sur une plateforme-lit, au milieu d’une salle claire, toute en longueur et suréclairée.


GAB

Maria ne se souvenait de rien depuis leur rencontre avant l’enlèvement mais GAB lui avait tout raconté.
GAB n’en pouvait plus de fierté : le contact avec une équipe de pro suréquipée, le matériel informatique, les GPS, les lunettes de vision de nuit, les gars encagoulés. L’intervention s’était faite sans bruit, Maria endormie d’une fléchette et hop embarquée dans un sac : la très grande classe !
Il n’avait vu aucun visage de ses partenaires, son commanditaire était resté anonyme lui aussi. Mais sa fortune était faite au GAB. Il allait enfin pouvoir s’offrir sa villa avec piscine, quelques filles pour mettre autour ainsi que dans son lit et le plus grand écran TV de la terre.
Bon, pour cela, il fallait d’abord qu’il mène sa MISSION jusqu’au bout sans merder. Remarque, il était très encadré à son tour, surveillé 24/24 et guidé pas à pas. Cela le perturbait un peu quand même le GAB mais le rassurait aussi. Avec des pros pareils, pas moyen de rater son coup !
Des tas de choses s’étaient passées pendant « l’absence » de Maria mais GAB allait lui expliquer.
Qu’elle le veuille ou non !
A vrai dire, qu’il le veuille ou non lui-même.
GAB la Logorrhée ne pouvait s’empêcher de parler.
La MISSION du GAB était double.
En premier lieu, il fallait s’assurer que la petite mignonne ne se fasse pas la belle.
Ça le faisait rire le GAB. Il répétait en boucle qu’il ne fallait pas que la « mignonne » fasse la « belle », il trouvait ça drôle.
Et puis, il était fort pour ça le GAB, ce n’était pas la première prisonnière qu’il surveillait.
La nouveauté c’est qu’elle était classée « PAS TOUCHE ! ». Ni coup de poing ni... enfin tu vois : pas touche quoi !
Même les émotions fortes devaient être évitées. Cette fille-là on la bichonnerait et elle devrait rester intacte.
Alors, que Maria se rassure, on ne lui ferait rien. Mais d’un autre côté, désolé pour elle, il allait falloir qu’elle reste attachée.
Attachée pendant 9 mois !
Là intervenait la deuxième partie de la mission de GAB : il fallait qu’il lui « énonce l’Annonciation » (c’était le titre du texte des ravisseurs) autrement dit qu’il lui balance la nouvelle, qu’il lui explique le bail quoi !
Pour plus de facilité et moins de risques d’erreurs, l’« Annonciation » avait été rédigée sur un papier.
GAB avait donc lu à Maria, de façon aussi laborieuse qu’elle se voulait solennelle, un texte un peu long et qui aurait pu aisément être résumé à :
Elle allait avoir un enfant qui serait récupéré à la naissance et après, pas de problème, elle recouvrerait la liberté.
Soit dit en passant, GAB qui avait peu de vocabulaire connaissait très bien le verbe « recouvrer ».
Il en usait de façon très libérale pour impressionner les gens auprès de qui il récupérait des dettes.
Mais c’est la première fois qu’il utilisait ce mot associé à celui de liberté !
Cela l’avait fait marrer, le GAB, de pouvoir employer le même mot pour deux résultats aussi contradictoires.
C’était ça, d’avoir de nouvelles fréquentations.
On apprenait des choses nouvelles.
On s’ouvrait l’esprit !
Maria pensa : liberté mon œil !
Dans celui de GAB la DÉBAUCHE, elle avait lu autre chose que sa liberté à elle. Neuf mois sans avoir le droit de la toucher... c’est sûr que cela serait surtout pour lui que la voie serait libre après livraison du bébé.
Ne pas y penser, elle avait 9 mois pour trouver une solution. Enfin, il valait tout de même mieux ne pas trop traîner s’il fallait pouvoir courir un peu.
GAB la DAUBE finit de lui servir la soupe préparée pour elle :
Le père, qui se voyait plutôt comme un Père bon et spirituel, viendrait la rencontrer de façon immatérielle. Et si elle le choisissait et qu’elle était choisie en retour elle pourrait peut-être décider de vivre à ses côtés. Sinon, il prendrait simplement livraison du bébé et disparaîtrait.
Maria se dit qu’il faudrait vraiment trouver une solution, vite.


E.M.

Pour l’état civil, E.M. avait un nom complet mais il aimait bien utiliser ses initiales. Cela laissait du mystère et sonnait comme « Aime » mais surtout comme « M », la chef du MI6 dans James Bond, sa préférée MAM ou MUM selon ce que l’on voulait entendre : la force, la puissance ou l’amour. Et lui voulait être tout !
L’Amour comptait pour beaucoup pour E.M.
Un Amour sélectif malgré tout. Exigeant, aurait dit E.M.
E.M. aimait en particulier ses résultats aux épreuves de Q.I. et aussi son reflet dans le miroir.
Il aurait aimé que tout le monde partage son Amour Inconditionnel de Lui.
Lui, qui n’avait déjà pas connu de père, avait été obligé, ce n’était vraiment pas de chance, d’en finir avec sa mère.
En finir parce qu’elle le regardait d’un œil critique.
En finir parce qu’elle trouvait que résoudre des problèmes complexes n’était pas forcément intelligent et qu’il aurait été plus intelligent de résoudre ses problèmes de complexes et bla,bla,bla et bla,bla,bla... Elle lui avait bien pourri la vie celle-là ! Elle était morte, il l’avait enterrée, bon débarras !
Désormais ce serait lui la Mère. La Mère et le Père : tout à la fois.
1+1=1 : équation résolue !
Il serait le premier, le début de tout !
La rencontre entre Maria et le « Grand homme » se fit via écran interposé.
Elle permit à Maria de comprendre mieux la situation.
Son corps n’intéressait pas le commanditaire, juste ses gènes, sa quintessence, le Saint-Esprit quoi.
E.M. expliqua à Maria qu’elle avait été hyper sélectionnée en raison de sa VHHI (Very High Human Intelligence) par une IA (Intelligence Artificielle) spécialement créée pour le projet. Les algorithmes avaient analysé les consultations internet de milliards d’individus et Maria était sortie grande gagnante du tamis.
Elle avait été inséminée avec les paillettes d’un homme « exceptionnel », lui-même : E.M. et allait servir à la production d’un enfant précieux.
L’accouchement aurait lieu le 25 décembre 2022. Le bébé serait emmené avec 665 autres bébés magiques (le chiffre semblait important pour E.M. qui avait sous-entendu qu’il fallait faire l’addition avec le bébé de Maria) dans une fusée, en compagnie de l’homme exceptionnel qu’il était, pour peupler des planètes lointaines dans l’espace.
Si elle voulait, elle pouvait se joindre à eux pour participer à l’aventure.
Son rôle de génitrice s’arrêterait là pour éviter tout risque de production consanguine ultérieure (malgré l’avis largement partagé par la communauté scientifique et corroboré par ses propres connaissances empiriques sur le sujet – issues notamment de ses observations faites au camp – Maria nota là que l’homme « exceptionnel » n’avait pas l’air de considérer que ses propres gènes de père unique puissent produire de la consanguinité).
Pas de fonction reproductive donc, mais les plaisirs ne seraient pas interdits.
Elle pourrait rester sur terre si elle le souhaitait mais cela serait tant pis pour elle car la vie y était amenée à disparaître.
Bien qu’ayant fait part sans ménagement ni précaution particulière de cette dernière information à Maria, l’homme exceptionnel sembla s’embrouiller un peu sur les raisons qui allaient aboutir à la fin de la vie sur terre. Il ne put, en effet, empêcher de donner à penser qu’il pourrait y être lui-même pour pas qu’un peu dans cette histoire.
Mais inutile de perdre de temps avec cela lui dit E.M., l’important était de préparer l’avenir.
La mission était de sauver le meilleur de l’humanité. Elle allait y participer. C’était une grande chance et elle pouvait être fière d’avoir été choisie.
Là, l’homme exceptionnel dit « choisie » au lieu de « recrutée » mais Maria ne vit pas la différence.
Il ajouta que la proposition de partir avec lui n’avait pas été faite à toutes les femmes et qu’elle aurait quelque raison de se sentir particulièrement honorée.
Il n’ajouta pas que s’il était facile de produire 666 gamètes et de faire retenir 666 femmes en captivité pour les inséminer, cela ne lui semblait pas une sinécure que de subvenir à leurs besoins et envies dans un endroit clos pendant l’éternité.
La compagnie des femmes, merci bien mais bien merci ! Il allait se limiter à une seule. Et si elle ne souhaitait pas se joindre à lui, tant pis ! Il y aurait aussi beaucoup d’avantages à être seul. Pour tenir son rôle d’homme exceptionnel, il vaudrait sans doute mieux éviter d’être distrait par les contradictions, les évaluations, la pensée et le regard d’autrui. L’exemple de maman avait été suffisant.
Les conversations (le plus souvent avec elle-même) et la physionomie de la petite Maria, relayées à son insu par le bidule (via google translator car même lorsqu’on est l’Homme exceptionnel on ne peut attendre de vous que vous maîtrisiez toutes les langues tout de même) avaient bien plu à E.M. Mais il n’en ferait pas une maladie. Il ne serait absolument pas vexé si elle ne souhaitait pas l’accompagner. Il était clair que si elle faisait le mauvais choix, c’est qu’elle n’était pas digne de lui. Voilà tout ! Point terminé ! Concentration, concentration : on allait prendre de la hauteur dans cette aventure (et même de la sacrée hauteur avec la fusée ah, ah, ah !) avec ou sans Maria.

N'y pensons plus et revenons au bébé se dit l’Homme exceptionnel.
N’y pensons plus et revenons au bébé se dit Maria.
Il faisait bon dans la clairière.
Coupés du Monde paissaient un âne et un bœuf tranquilles.
Eux, ne s’inquiétaient pas de la fin de l’humanité.
Ils étaient calmes et tenaient chaud.
Leurs cœurs battaient.
C’était la vie.
Brute.

Pas de réseau à des kilomètres à la ronde.
Jo était à ses côtés.
Ils étaient sauvés.


JO

Jo ou Jo La Frite comme on l’appelait avant. Jo la frite parce qu’il les coupait, les cuisait et les vendait.
Jamais parce qu’il l’avait, la frite.
Enfin bon, on pouvait malgré tout dire qu’il en avait la silhouette.
Tout en longueur, Jo se fondait dans le paysage, tâchant de se faire oublier.
Un point commun avec Maria.
Ils l’avaient noté tous les deux dans leur vie d’avant.
Ils s’aimaient bien, déjà.
Jo, c’était la délicatesse, tout en rêve. Le rêve d’une vie meilleure, avec un autre garçon peut-être... mais ces garçons-là n’existaient pas dans le monde de Jo !
Là où vivait Jo, on aimait les femmes (à coups de beignes) et on massacrait les pédés (à coups de hache)... alors Jo ne parlait pas ou presque jamais.
Pourtant, Jo aurait tout aussi bien pu s’appeler « Jo la débrouille » ou « Jo qui sait tout faire de ses 10 doigts » ou encore « MacGyver-Jo », s’il l’avait voulu.
Mais il n’avait pas fait de publicité là-dessus. On aurait utilisé ses dons pour lui faire ouvrir les serrures.
Merci bien !
Jo la débrouille d’accord mais Jo les embrouilles pas question !
Alors il avait tenu ses talents secrets et était resté Jo La Frite.
Lorsque Maria avait été faite prisonnière, Jo La Frite avait livré des frites.
À GAB.
À GAB le DOBERMANN qui devait monter la garde devant le conteneur climatisé et sécurisé dans des bois.
À GAB qui, bien que cela soit Maria la prisonnière, se retrouvait enchaîné (façon de parler bien sûr) à son poste.
Bien sûr, les frites lui étaient réservées.
Les frites étaient interdites à Maria qui ne devait manger que des repas équilibrés au gramme et à la protéine près pour répondre à son régime de femme porteuse d’un bébé magique.
Pour plus de confidentialité, le traiteur devait livrer les repas dans des boîtes isothermes à la baraque à Jo qui les livrait ensuite avec les frites au pied du conteneur.
Et « pas de salades avec les frites ! » lui avait bien fait comprendre GAB le POÈTE : Jo devait la boucler !
Jo la Frite faisait donc des livraisons trois fois par jour (respect de la chaîne du froid et du chaud oblige) et essayait de comprendre la situation.
L’apparition du conteneur avait coïncidé avec la disparition de Maria.
Il ne fallait pas être sorti des cuisses de Jupiter (dans un monde idéal, Jo aimait penser que les hommes aussi pourraient avoir des enfants) pour comprendre !
DE UN : Maria devait être enfermée là-dedans.
L’indice numéro deux s’était un peu fait attendre.
Un soir qu’il avait entamé quelques bières, GAB la DÉBRAILLE avait laissé échapper que la GPA était vraiment un bon business et qu’après ce coup-là, il allait développer la filière.
Jo allait voir ça ! Mais c’était dit en confidence et donc : la boucle Jo ! Si quelqu’un reprenait le filon avant lui, GAB la DÉJANTE tuerait Jo.
DE DEUX : Maria avait donc été embarquée et inséminée dans le cadre d’un projet de gestation pour autrui pourri et pour lequel elle n’avait sans aucun doute pas donné le moindre consentement (la preuve : les serrures sur la porte, les caméras, et tout et tout).
Jo s’y connaissait suffisamment en absence de liberté et de consentement pour trouver qu’une femme pourrait au moins avoir le droit de décider de si oui ou non elle voulait un enfant, avec qui et quand.
Compte-tenu de la logistique hyper huilée qui avait été mise en place, Jo doutait que GAB le DÉBILOS soit le grand organisateur. Il y avait donc derrière cette opération, une bande de méchants beaucoup plus affutés qui souhaitaient rester discrets.
DE TROIS, direct à la conclusion : pas besoin d’analyse ou constat supplémentaire. Il fallait sortir Maria de là et disparaître.
De toute façon, cela faisait longtemps que Jo lui-même aurait dû s’arracher d’ici.
Jo était sûr que dans le monde, il y avait une petite place pour lui.
Un lieu où il pourrait être juste lui-même.
Même s’il ne lui semblait franchement pas juste qu’il ne puisse pas être juste lui-même, partout où il était.
Il allait délivrer Maria et lui proposer de partir ensemble.
Elle ferait ce qu’elle voudrait pour le bébé.
L’important serait qu’elle puisse faire son choix.
Après chacun pourrait vivre sa vie de son côté.
On verrait bien.
Jo la Frite n’avait jamais été aussi déterminé.
Il n’avait jamais trouvé l’énergie ou pensé à se sauver lui mais il ne laisserait pas faire les fous qui en voulaient à Maria.
Trop c’était trop !
Tout le monde avait le droit de vivre sa vie... sauf le bébé peut-être, mais lui n’était pas encore né et pas encore un bébé du tout d’ailleurs, d’après les calculs de Jo.
Pour le « pas encore un bébé », Maria verrait. Elle déciderait.
Jo aimait bien les bébés et savait que cela serait compliqué pour lui compte tenu de... mais ce n’était pas le sujet !
Cela serait dans les mains de Maria dès qu’il aurait réussi à la faire sortir d’ici.

Dans la clairière Jo installa une litière pour Maria.
Les contractions n’allaient pas tarder, il était bientôt l’heure.
Maria ferma les yeux.

Maria ouvrit les yeux, Jo était penché sur elle et la secouait doucement. Elle avait failli crier de surprise mais Jo, très gêné, lui avait plaqué la main contre la bouche. Ses mains sentaient la frite se dit-elle. Mais il n’y pouvait rien.
Il fallait s’enfuir.
Pas besoin de trop de détails pour voir que Jo n’avait justement pas fait dans le détail.
GAB la DÉBANDADE ronflait la bouche ouverte.
Les caméras étaient clairement indisposées.
Le van à frites était planqué plus loin dans un sentier.
Il fallait faire vite.
Jo avait aidé Maria à courir (on perd vite ses muscles, allongé en captivité).
Il avait démarré le van et ils étaient partis tous feux éteints.
Ils avaient roulé une nuit. Puis passé une journée à repeindre le van pour transformer le « Chez Jo la Frite » en « Charpenterie et Menuiserie Josette, tous vos travaux à petits prix ».


LE GRAND CAMARADE GUIDE

Jo expliqua à Maria que le monde était en flammes.
Pendant le mois de captivité de Maria, leur grand pays avait déclaré la guerre à un autre plus petit. Tous les pays du monde avaient fini par prendre parti. On parlait même d’arme ultime et d’apocalypse.
En écoutant Jo, Maria se dit que le fou devait être contagieux. Pas possible que les hommes soient aussi bêtes.
À propos d’hommes, Jo lui apprit que dans leur pays, les hommes étaient mobilisés mais que les femmes avaient le droit de partir.
Ils ne seraient pas seuls sur les routes et il faudrait franchir les frontières.
Jo qui avait hérité de la garde-robe de sa mère, n’avait jamais réussi à s’en séparer.
Et bien c’était l’occasion.
Elle allait servir !
On annonçait partout une pénurie de carburant mais le van fonctionnait tout aussi bien à l’huile de friture. Et Jo en avait des stocks.
On aurait le temps de voir venir.
Pas de téléphone et surtout pas de GPS : désormais, plus de bidule !
Hors de question de pouvoir être repéré par le taré exceptionnel et ses hommes de main !
La première frontière avait été passée de façon laborieuse mais discrète finalement dans la grande file de véhicules remplis d'hommes et de femmes qui s’écoulait au compte-goutte au travers de la frontière.
Les gardes ne semblaient s’intéresser qu’au sexe des fuyards selon un système binaire finalement assez à leur portée :

    -    0 : tu es un garçon/homme tu es refoulé.
    -    1 : tu es une fille/femme tu passes.

Les gardes auraient bien aimé tirer quelques avantages supplémentaires de la situation mais les consignes du GRAND CAMARADE GUIDE étaient claires : faire dégager les voitures de la frontière pour laisser la voie libre aux chars.
Qu’on fasse avancer tous ces véhicules ! De toute façon on n'avait guère de quoi nourrir la population depuis le déclenchement de la guerre (exemple : on n’avait plus guère de navets).
Cela fragiliserait les pays voisins de devoir accueillir tout ce monde. Bien fait !
Par contre, il fallait renvoyer au bureau de la mobilisation tous les lâches et profiteurs qui prétendaient ne pas vouloir tenir un fusil pour défendre la patrie.
On les ferait marcher devant les chars pour ralentir l’avancée des troupes ennemies. Sans fusil, puisque c’était leur choix et la pénurie aussi (ce dernier point n’était cependant jamais évoqué par le GRAND CAMARADE GUIDE).
Ainsi, avait-on passé la première frontière sans trop de difficulté.
Jo avait bien tenu son rôle de Josette.
D’ailleurs, s’était dit Maria, on aurait plutôt dit que Jo était devenu Josette.
Une fois sortis du pays et leur première frayeur passée, Maria avait cherché à en savoir un peu plus sur la situation du monde.
En croisant les bribes d’informations récupérées parmi les réfugiées, elle la résuma à cela :
UN : le GRAND CAMARADE GUIDE semblait avoir quelques homologues de la même trempe.
DEUX : à y regarder de plus près, les déclarations de chaque GRAND CAMARADE GUIDE (ce que l’on aurait également pu aisément intituler les « MONOLOGUES DES HOMOLOGUES ») visaient à la fois à faire comprendre que son pays à soi était le plus grand, qu’il avait plus de puissance et majesté que toutes les autres réunis et qu’en outre, il bénéficiait du soutien des pays des autres GRANDS CAMARADES GUIDES.
TROIS : il fallait noter que sur ce dernier point la nature, la géométrie et la sincérité des alliances et des coalitions n’étaient pas toujours très claires.
QUATRE : une chose était sûre à défaut d’être claire, LES GRANDS CAMARADES GUIDES s’accordaient tous pour dire que leurs pays ne faisaient que répondre aux attaques des pays qu’ils attaquaient pour éradiquer la perversion du monde.
CINQ : on ne savait plus si la perversité se comptait en nombre de morts ou en degrés d’une immoralité dont les critères, à nouveau, ne semblaient pas tous bien définis.
La cacophonie était générale.
Le GRAND CHARABIA international était enragé.
Les petits pays attaqués défendaient leurs territoires avec l’aide non avouée d’autres pays. Les alliances souterraines n’osaient s’affirmer de peur de déclencher un incendie général.
Partout les humains restaient paralysés par tant de bêtise. Leurs vies mises en danger par quelques GUIDES PRÊTS À TOUT.
On en aurait presque oublié le GRAND DANGER !


LE GRAND DANGER

Le GRAND DANGER, Maria n’en avait jamais entendu parler dans son pays.
Sans doute le bidule n’avait pas accès à toutes les informations du grand monde finalement.
Le GRAND DANGER avait conclu Maria pouvait se résumer à :

    Il allait faire TRÈS CHAUD !

Les files de réfugiées partaient vers les pays du soleil couchant où, se chuchotait-il (tout bas pour ne pas être entendu des GRANDES OREILLES du GRAND CAMARADE GUIDE), il y avait abondance.
Maria, se dit qu’il serait plus avisé de changer de latitude.
On roulerait désormais la nuit en direction de l’étoile du Berger.


LES ROIS ET LES FOUS

Cette fois-ci, la disparition de Maria n’était pas passée inaperçue.
Elle fit même grand bruit.
Sans que Maria n’en ait eu conscience, une conférence de presse mondiale avait eu lieu, le matin même de sa fuite, pour annoncer le contenu du projet de l’Homme exceptionnel.
Le programme de peuplement de l’espace avait été annoncé en grandes pompes par E.M. (qui avait soigneusement ciré les siennes pour l’occasion).
Les bébés seraient gardés dans des endroits secrets avant le démarrage de la fusée.
Mais tout le monde serait invité au spectacle le jour du lancement.
Le contrôle COM autour du happening était intransigeant. Hors de question de parler des grains de sable qui commençaient à se multiplier dans les rouages.
On ne sait comment cependant, l’info de fuites de « pas encore bébés » finit par fuiter.
Là, les choses commencèrent à se corser !
Dans le monde entier, de nombreuses réfugiées enceintes ou avec des nourrissons en bas âge se firent arrêter et séquestrer.
Les fous de Dieu firent le siège des maternités pour empêcher les avortements, allant jusqu’à contester le droit constitutionnel de la maîtrise de leur corps par les femmes.
C’était une folie furieuse.
Le portrait-robot de Maria fut diffusé.
Des influenceurs lancèrent leurs followers à ses trousses.
Trois crowdfundings dédiés furent créés pour permettre de créer une cagnotte que l’on remettrait à la mère si elle voulait bien rendre le bébé.
Le Roi du Pétrole, le Roi de l’informatique et le Roi de la Mafia se mirent en marche dans leurs JET/NET/SUV pour les rejoindre.
Eux aussi croyaient en leur bonne étoile.

Au final, Maria avait bien voulu du bébé.
C’était son choix.
On lui avait volé son enfance, on ne lui volerait pas son enfant.
Peu importe le père biologique, il serait entre de bonnes mains avec Jo.
Il avait fallu faire preuve de mille ruses pour parvenir jusqu’à la clairière.

Le jour venu, le bébé naquit sur un tapis d’herbe et de lichen.

Il faisait très doux et pourtant on était arrivé tout au bout de la terre septentrionale, juste au bord de l’eau.
Maria vit un ours blanc nager droit vers elle comme envoyé par l’étoile du Nord.
Elle vit les troupeaux de moutons se mêler à ceux des rennes.
Elle vit l’âne et le bœuf faire connaissance avec des dromadaires et des chameaux qui avaient roulé leur.s bosse.s jusque-là.
Elle vit une foule de jeunes mal rasés, mal peignés mais qui, le sourire jusqu’aux oreilles, faisaient des inventaires d’une faune et d’une flore recomposée.
Il semblait qu’il faudrait se serrer un peu.
Mais on serait bien.
Le bruit du monde avait disparu.
Maria ne vit ni SUV, ni JET ni NET.
Ailleurs, des astres artificiels s’étaient allumés puis rééteints.
Une fusée enflammée par-ci, une torchère soufflée par-là, un méga serveur à son tour disparu, consumé
Les Rois (quel domMage) s’étaient perdus à suivre de mauvaises étoiles !
Les followers aussi.

Maria pourrait planter les graines glanées en chemin.
Un pommier peut-être ?
Maria se sentait des envies de pomme depuis peu.

Le bébé magique allait pouvoir vivre sa vie de bébé.
Sa vie de bébé pas magique du tout !!!
Protégée de la folie des fous !


I.EL

I.EL n’entendrait jamais parler du début de l’histoire
Sa vie débutait en ce jour
Avec deux mamans pour commencer
Et pourquoi pas des papas par la suite
Fille ou garçon ou autre ?
Nous ne le saurons pas
Et la suite de l’histoire ?
Non plus

Car la suite lui appartient.