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7 février 2023

LES RETRAITES, LA PROIE ET L'OMBRE

Gabriel Nerciat

Quand j'entends parler certains grévistes ou manifestants depuis le début de l'affaire des retraites, je suis toujours un peu désarçonné par certains arguments.
Notamment celui-là, devenu désormais assez courant, jusque dans la bouche de Pascal Praud sur C-News : "Si l'État a pu trouver 140 milliards d'euros sur trois ans pour assumer l'épreuve de la covid, il devrait pouvoir trouver sans problème majeur les 15 à 20 milliards nécessaires pour équilibrer les caisses de retraite dans la décennie qui vient, sans contraindre les gens à travailler plus longtemps."
Or je crois qu'il serait peut-être temps d'expliquer aux inconscients ou aux naïfs que c'est exactement le contraire qui est vrai : c'est parce que l'État est prêt à faire travailler les gens plus longtemps et à rogner sans vergogne sur le montant et les conditions d'obtention de leurs pensions de retraite que l'UE d'une part et les investisseurs privés institutionnels d'autre part sont prêts à soutenir, par le gonflement de la dette et le chantage qu'elle autorise, les capacités de financement de l'État.
Chaque jour de l'épidémie où les Français (dont je fais partie, naturellement) ont consenti sans faire de drame à rester confinés chez eux, à remplir leurs justificatifs burlesques pour s'autoriser à descendre acheter le pain, ou à présenter leurs passeports sanitaires afin de pouvoir aller déjeuner au restaurant a été la condition de possibilité de la contre-réforme inepte, inutile et injuste qui est en jeu au Parlement aujourd'hui - et que le Banquier Président, encore une fois, s'est empressé d'annoncer en lançant sa campagne l'an dernier sans craindre d'avoir à en payer les conséquences dans les urnes.
Pour Macron comme pour Biden ou les ennemis de BoJo en Angleterre, l'épidémie de covid a été une bénédiction du ciel : grâce à elle, il a pu sauver un quinquennat qui n'était rien d'autre qu'un long naufrage sans fin, et obtenir de l'Allemagne l'autorisation qui lui manquait pour renforcer les pouvoirs obligataires et budgétaires de l'Union européenne, au détriment de la souveraineté française et de la justice sociale dont celle-ci est garante, au moins depuis la Libération.
Les syndicats bien sûr ne le reconnaîtront jamais, mais ils sont les premiers à le savoir. Eux aussi mangent abondamment dans la main de Bruxelles et de Bercy, car sans la manne de l'État il y a belle lurette que leur indigence et leur impuissance seraient exposées au public telles qu'elles sont.
Le problème, aujourd'hui, ce n'est pas tant la réforme elle-même que celui qui l'impose, et les raisons pour lesquelles il l'impose.
C'est toujours la même histoire, et toujours le même principe de base : on ne gagne rien à lâcher la proie pour l'ombre (si une gauche socialiste et ouvrière existait encore, cela devrait devenir sa devise, je crois).