Quand deux vieux routards du grand reportage de guerre se retrouvent sur la question de la crise du journalisme de connivence, cela donne une bonne demi-heure de salutaires commentaires sur le désastre médiatique que constitue la couverture de la guerre en Ukraine. Chris Hedges est un journaliste américain dont la réputation n’est plus à faire (1), vu qu’elle s’est notamment faite lors des guerres américaines en Irak où, arabophone, il suivait la situation depuis la réalité de la population plutôt que des expériences très cadrées des journalistes “embedded” dans l’armée d’occupation, le plus souvent loin des zones dangereuses.
Il a ainsi pu observer que la liberté journalistique allouée aux reporters lors de la guerre du Vietnam, renvoyant au public toute l’horreur de la guerre, avait contribué au rejet populaire de ces massacres dénués de sens, et que l’état-major avait ensuite décidé qu’il n’était plus question de laisser ces “reporters” se promener sur le champ de bataille sans “encadrement”.
Du journalisme à la propagande
Ainsi, selon lui, les “journalistes de guerre” modernes, à quelques rares exceptions près, se contentent tout à fait d’être promenés par le service politique de l’armée là où il y a quelque chose “d’intéressant” à voir, et passer le reste du temps à l’hôtel à retranscrire les “explications” de ces mêmes militaires. Et ce sont eux que l’on retrouve aujourd’hui sur le front du “camp du bien” en Ukraine, et dans les mêmes conditions d’incompréhension totale du contexte. Ils sont juste là pour “faire le boulot” selon les directives idéologiques de leurs patrons, et surtout sans prendre de risques de carrière.
Le second vieux routard est Patrick Lawrence (2), qui a travaillé pour la Far Eastern Economic Review, le International Herald Tribune et le New Yorker avant de quitter la presse mainstream et écrire des livres sur la géopolitique : Somebody Else’s Century: East and West in a Post-Western World, et Time No Longer: Americans After the American Century.
Il pose une réflexion sur la contrainte que connaissent la plupart des journalistes, qui ont des idées politiques qu’ils doivent théoriquement laisser de côté dans le cadre de leur travail de journaliste. Il note que le journalisme est surtout devenu une forme d’activisme, au sens de la défense d’un point de vue idéologique (le sien ou de celui qui remplit la gamelle). C’est un défaut souvent associé au journalisme indépendant qui, comme votre serviteur, ne prétend pas être parfaitement neutre mais a minima d’être cohérent. Sauf que le journalisme idéologique de masse jongle entre les faits et le narratif qu’il doit servir, au prix d’incohérences et d’une culture du mensonge par omission.
Hedges et Lawrence reviennent sur quelques incohérences du narratif officiel sur l’Ukraine, telle que l’affaire de la centrale de Zaporijjia, supposément bombardée par les Russes alors qu’ils l’occupaient, ou encore le détournement d’une partie de l’armement envoyé au régime mafieux de Zelensky.
Une culture du journalisme de connivence très développée ici en France sur, notamment, les ondes du service public où de coûteux propagandistes du genre Salami, Demeuré et Couenne utilisent leurs longs temps d’antenne pour cirer les pompes idéologiques de leurs maîtres, plutôt que pour apporter une information crédible et un débat contradictoire sérieux au bénéfice de la population qui, pourtant, paie pour leurs gamelles.
On l’a aussi récemment vu avec l’histoire du déjeuner présidentiel, là où Jupiter délivre à ses “grands journalistes” les éléments de langage à faire passer au petit peuple via les médias de (dés)information officiels (3).
Pour Hedges comme pour Lawrence, le journalisme “officiel” est mort et son cimetière est l’Ukraine. La disparition de ce contre-pouvoir est une catastrophe pour nous tous, quoi que n’en pensent pas les euro-atlantistes applaudisseurs de massacres, car il n’est désormais plus possible pour la population générale (celle qui n’a pas le temps d’aller fouiller et de se créer sa propre opinion sur des sujets complexes) d’avoir un regard critique sur les actions délétères de la clique des psychopathes corrompus qui mènent aujourd’hui le monde.
L’ironie munichoise et le journalisme open source
Une catastrophe illustrée par la couverture de la conférence sécuritaire qui vient d’avoir lieu à Munich (4), là où quelques millionnaires camés genre Macron et Sunak, quelques pseudo-écologistes fascisants sauce Baerbock et quelques vieux apparatchiks séniles genre Borrell, se prennent toutes et tous désormais pour Néron et en appellent à la guerre, au sang (surtout ukrainien) et, en sous-titres, à la promesse de bénéfices mirifiques sur les ventes d’armes et sur la colonisation de l’Ukraine et ses nombreuses ressources naturelles.
Les journalistes avec un minimum de connaissance du contexte de cette guerre et de la réalité du terrain, ainsi que de la réalité des effets catastrophiques de toute cette escalade pour les populations européennes, ukrainiennes et russes, devraient monter au front pour dénoncer cette gabegie et cette horreur, comme le firent les reporters au Vietnam. Mais non. A peu près toutes et tous adhèrent à la Voie de la Gamelle, ce courant sonnant et trébuchant nourrissant le journalisme et le capitalisme de connivence, et qui nous mène en droite ligne au totalitarisme le plus pur.
L’ironie munichoise n’aura échappé à personne : c’est en effet dans le Munich actuel du journalisme de connivence que fut fondée la Chartre de Munich (5), censée définir le code de déontologie des journalistes, et dont les deux premières obligations (sur dix) sont les suivantes (défense de rire):
1. Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.
2. Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique.
Cette problématique n’est pas nouvelle, elle ne fait simplement qu’empirer. Il se trouve que le journalisme de connivence s’est dévoilé tout entier pendant la période Covid, ne relayant que les (généralement fausses) informations officielles et diabolisant ceux et celles essayant d’exprimer une opinion non alignée avec les intérêts de Big Pharma, des médecins corrompus et des psychopathes au pouvoir. Sa faillite, trois ans plus tard, est totale mais rien n’y fait. Tant que les mêmes resterons au pouvoir, et que ceux et celles qui les suivront seront nommés en fonctions des mêmes intérêts, il n’y a pas de raison que cela change (6).
Voici dix ans j’avais publié un article sur le journalisme open source, qui se veut être un journalisme respectant la Charte de Munich, non limité par l’approbation institutionnelle (donc ne nécessitant pas de carte de presse pour être reconnu comme tel), et surtout appliquant les principes de l’open source, dont le premier (sur les huit habituellement cités) est celui-ci :
Toutes les sources constitutives d’un article doivent être répertoriées afin que le lecteur puisse, s’il le désire, vérifier par lui-même. C’est, quasi par définition, le critère principal du journalisme open source, les autres critères étant abordés en fonction des moyens et possibilités des auteurs.
Une manière, peut-être (et que je tente d’appliquer dans ce blog) de faire passer un message tout en laissant au lectorat la possibilité de consulter les mêmes sources, et de se construire ses propres opinions. Bien peu de choses, malheureusement, face au rouleau compresseur du capitalisme de connivence, dont le journalisme du même nom n’est qu’un sous-produit hautement toxique.
Liens et sources
(1) https://en.wikipedia.org/wiki/Chris_Hedges
(2) http://patricklawrence.us/about/
(3) https://www.acrimed.org/Polemiques-autour-du-dejeuner-presidentiel-l
(4) https://www.lemonde.fr/international/live/2023/02/17/guerre-en-ukraine-en-direct-emmanuel-macron-martele-que-l-agression-russe-en-ukraine-doit-echouer_6162179_3210.html
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Charte_de_Munich
(6) https://zerhubarbeblog.net/2023/02/19/facebook-censure-et-sociopathie/