Il ne s’est écoulé que trois mois depuis la mise en ligne de ChatGPT mais ces trois mois ont été riches en développement dans le domaine de l’intelligence artificielle. Comme on pouvait s’y attendre, les applications de l’IA dans tous les domaines s’accélèrent.
Ainsi, sentant tout l’intérêt commercial d’une intégration de l’outil d’OpenAI dans son propre moteur de recherche, Microsoft vient-il de proposer aux utilisateurs de Bing de disposer d’un outil conversationnel basé sur les développements qui ont donné naissance à ChatGPT.
Cependant, quelques réglages restent manifestement à faire : le robot conversationnel a été plusieurs fois impliqué dans des échanges lunaires où une pointe d’agressivité pouvait même être détectée de la part de l’intelligence artificielle, clairement pas prête à se laisser expliquer la réalité.
Ceci n’a pas empêché le même Microsoft de continuer ses développements sur d’autres aspects de l’intelligence artificielle, notamment avec Kosmos-1, un modèle multimodal capable d’analyser le contenu d’images, de répondre à des questions sur celles-ci, de reconnaître des textes à partir de photos et même de réussir des tests de quotient intellectuel basé sur des opérations graphiques à partir d’instructions en langage naturel.
Cette notion d’intelligence artificielle multimodale est importante car elle intègre différents modes de saisie tels que le texte, l’audio, les images et la vidéo et pourrait être une étape clé dans la création d’une intelligence artificielle générale (IAG) capable d’effectuer des tâches générales au niveau de l’homme.
Parallèlement, des applicatifs pratiques de ce qui existe déjà sur le marché sont actuellement mis en place, quelques mois seulement après que les principaux outils grand publics sont sortis officiellement (MidJourney, StableDiffusion, ChatGPT, pour ne citer que les plus célèbres actuellement).
On pourrait citer le cas de RadioGPT, cette radio automatique qui bénéficie des dernières évolutions dans le domaine en proposant une liste de lecture de tubes pop entrelardée de commentaires d’actualités, ces derniers étant produits par une collection automatique d’articles de presse et de factoïdes plus ou moins intéressants sur internet qui alimentent GPT3, le moteur informatique de ChatGPT. Le texte ainsi produit est alors envoyé dans un autre morceau de logiciel capable de reproduire des voix réalistes qui viendront fournir le commentaire sur la radio en ligne.
Le résultat est une radio relativement basique mais dont le fonctionnement n’est pas très loin d’une petite radio locale produite par des humains. En multipliant les moyens et l’investissement initial, nul doute qu’on pourra arriver rapidement à des radios d’une bonne qualité, aptes à concurrencer des radios régionales au moins sur le plan de la masse salariale…
Et il ne faut pas faire un grand pas en avant pour s’en persuader : on apprend en effet que ce genre d’externalité des intelligences artificielles produit déjà des conséquences palpables dans le monde du journalisme. C’est le cas en Allemagne où le groupe de presse Axel Springer commence déjà à supprimer des postes de journalistes, ces derniers étant – selon le patron du groupe – avantageusement remplacés par une intelligence artificielle.
Du reste, peut-on s’en étonner lorsqu’on voit le niveau global du journalisme de nos jours ?
Combien de ces journalistes se contentent de reprendre, avec un brio discutable, des dépêches officielles d’agence avec un don du copier-coller si précis que les mêmes fautes d’orthographes sont religieusement reproduites d’un articulet de presse à l’autre, d’un journal local à l’autre ? Combien de ces journaux, du reste, ne sont que l’adaptation locale minimaliste de nouvelles prémâchées, prédigérées, issues d’un complexe journalistique industriel de niveau national et qui fournit de l’information exactement comme une usine alimentaire produit du plat tout préparé à des milliers de petits restaurants qui n’ont plus de cuisine locale que leur four micro-ondes ?
On est ici dans un mouvement inéluctable, et la disparition de ce journalisme-là n’est que la logique habituelle d’économie : la valeur ajoutée de l’humain – qui n’était dans ce cas qu’un opérateur tout juste utile pour la mise en page et les (rares) retouches locales – tendant vers zéro, remplacer celui-ci par un robot virtuellement gratuit n’est pas un chemin très complexe à imaginer.
Au passage, on peut espérer que le lectorat finira par faire la différence entre la production de ces “journaux” qui ne tiennent que grâce aux subventions et à la publicité, et que ceci favorisera une reconcentration des journalistes (les vrais) vers ces entreprises d’information et d’investigation qui fournissent une analyse tangible, mesurable, et des enquêtes réelles et sourcées…
Et pendant que les journalistes s’interrogent sérieusement sur l’avenir de leur profession, un autre développement concernant les politiciens est déjà visible, ici en Roumanie, où le gouvernement a décidé de se doter d’une intelligence artificielle, Ion, comme aide à la décision et assistant personnel, qui permet d’analyser rapidement les opinions des citoyens roumains sur différents sujets d’actualité et leur permet d’interagir avec lui.
Il est bien évident qu’il ne s’agit pour le moment que d’un gadget qui se contente d’analyser les tendances statistiques de ce qui est visible sur les différents réseaux sociaux auxquels le robot a accès. Cela ressemble un peu à de la “politique en temps réel” avec tout ce que cela peut contenir de dérives néfastes dans l’impulsivité et l’instantanéité. Au-delà, l’assistant numérique du Premier ministre roumain pourrait être vulnérable aux armées de trolls et de bots sur ces mêmes réseaux sociaux. Inversement, rien n’interdit d’imaginer qu’utilisé habilement, ce même assistant puisse être utilisé pour orienter subtilement l’opinion publique : l’une se nourrissant de l’autre et réciproquement, il devient rapidement difficile de déterminer qui oriente vraiment qui…
Mais l’introduction d’une béquille numérique pour un politicien s’inscrit dans une tendance claire où l’on pourrait assister à la disparition progressive de membres du cabinet d’un ministre, puis de tout le cabinet pour enfin, en toute logique, faire disparaître le ministre lui-même en étape finale.
La question qui mérite d’être posée, dès à présent, est de savoir si ce serait vraiment une catastrophe. Le débat est ouvert et il n’est pas du tout tranché : la consternante médiocrité de nos politiciens actuels est une véritable ode à leur remplacement par n’importe quel autre procédé qui n’aura pas de mal à être mieux informé et qui pourrait même être plus équilibré. Ce n’est en rien garanti, mais le niveau est actuellement si bas que l’effort à produire n’est plus si grand.
(Du reste, quant à la remarque qui consiste à dire que le contrôle passerait simplement du ministre à celui qui a entraîné et qui maintient l’IA qui le remplace, elle oublie la quantité de ministres qui ne sont déjà que des marionnettes. On changerait alors de façade, pas de marionnettiste.)
Comme certains l’anticipaient il y a quelques décennies, les développements de l’intelligence artificielle sont de plus en plus rapides et rattrapent toutes les professions, notamment intellectuelles : au rythme actuel des développements et en tenant compte des tendances connues dans l’informatique, on estime que les modèles disponibles dans 10 ans seront au moins un million de fois plus puissants et capables que ceux actuellement sur le marché…
Lorsqu’on découvre par exemple que certains chercheurs réussissent actuellement à reconstruire une image à partir de l’activité cérébrale d’un individu, on ne peut que s’interroger sur les possibilités immenses et les dérives catastrophiques qui s’offrent à nous.