Nous sommes conviés à défendre la démocratie et « nos valeurs ». Mais il serait bon de savoir ce que ce terme recouvre exactement. Le terme est plébiscité aujourd’hui (mais ce ne fut pas toujours le cas). Mais il recouvre au moins trois acceptions différentes.
La première dit que la démocratie est le pouvoir du peuple, c’est-à-dire le pouvoir de ceux qui participent de la vie de la cité ; on sait que les démocraties antiques ne considéraient comme citoyens qu’une partie restreinte du peuple. Et même chez nous, les femmes furent exclues de la pleine citoyenneté jusqu’à la Libération ! Mais quelle que soit l’extension de la citoyenneté, les citoyens participent tous du pouvoir par le biais des assemblées qui décident des lois et désignent les magistrats chargés de les exécuter. Le modèle de la démocratie était celui d’Athènes à l’époque classique. Les conseils ouvriers, russes, allemands, hongrois, de l’immédiate après première guerre mondiale en sont des exemples.
En second lieu, on nomme démocratie un régime politique dans lequel les représentants du peuple sont élus au suffrage universel et doivent régulièrement rendre compte de leur mandat. Cette démocratie représentative suppose a minima que le pouvoir politique appartient au Parlement. Les expressions « démocratie parlementaire » ou « démocratie représentative » sont des pléonasmes, pour ne rien dire de cette obscure notion de « démocratie participative » qui connut son heure de gloire…
En troisième lieu, on parle de démocratie quand les droits individuels essentiels sont garantis. Il n’y a pas d’esclave, chacun est propriétaire de lui-même, chacun dispose du droit de choisir son emploi, son conjoint, de professer la religion qui lui sied ou de n’en professer aucune, d’exprimer ses opinions, de jouir de ses propriétés légitimement acquises, etc.
Force est de reconnaître que la démocratie en son sens originel n’existe nulle part, à l’exception de la Suisse qui n’est cependant qu’une démocratie semi-directe. On peut admettre que la démocratie directe n’est applicable strictement que dans des petites communautés politiques et non dans les grands États-nations modernes. Nous serions donc condamnés à la démocratie parlementaire, combinée à une échelle plus ou moins large avec le référendum d’initiative populaire.
Ce qui est inquiétant, c’est que l’on voit, un peu partout une formidable régression des droits des parlements au profit des exécutifs de plus en plus concentrés sur une seule personne et au profit d’instances non élues, si typiques de la nouvelle « gouvernance », ainsi la Commission de l’Union européenne. De ce point de vue, la France est une caricature. Le régime créé par un coup d’État en 1958 conférait au président des pouvoirs considérables, quoique le Parlement y gardait quelques prérogatives, dûment encadrées – on a pu parler à propos de ce régime de régime semi-bonapartiste et semi-parlementaire. La chose s’est sérieusement aggravée avec le passage à l’élection du président au suffrage universel qui faisait passer évoluer le régime vers un système « monarchique » plébiscitaire (le modèle étant Napoléon III). Deux éléments venaient tempérer cette évolution dangereuse. Le premier était la possibilité de la « cohabitation » avec une majorité parlementaire opposée au président (ce qui est arrivé en 1986-1988 et en 1997-2002), situation où, de fait, le centre du pouvoir était rééquilibré vers le Parlement. Le deuxième élément non institutionnel était la recherche par de Gaulle d’un lien assuré entre la nation et « l’homme de la nation ». Ainsi de Gaulle mit en jeu son mandat à chaque élection nationale et usa du référendum dont le dernier, celui de 1969, le conduisit à une démission immédiate. Mais après de Gaulle, plus aucun président ne se sentit engagé par le résultat d’une consultation populaire et après la modification constitutionnelle de convenance organisée par Chirac et Jospin en 2002 (réduction du mandat présidentiel à 5 ans et inversion du calendrier électoral) il est devenu presque impossible de fait que le président se trouve face à une majorité parlementaire hostile, la représentation nationale n’étant plus que la représentation du président – surtout avec le mode de scrutin majoritaire.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas vraiment dire que la France est une démocratie. C’est plutôt une oligarchie, puisque le pouvoir réel n’est exercé ni par le peuple, ni par les représentants du peuple, mais par une caste sélectionnée par les plus riches, appuyés sur une fraction de l’appareil d’État dont le rôle politique est de plus en plus envahissant.
Évidemment, l’oligarchie est difficilement compatible avec ce que l’on nomme « État de droit », même si cette expression est fort équivoque. Les libertés individuelles, en France comme partout sont de plus en plus restreintes par la surveillance généralisée, dont le Covid a donné un petit avant-goût. Les droits des justiciables sont de moins en moins assurés. Les « Gilets Jaunes » ont payé de leurs yeux et de leurs mains le sens très particulier du droit de manifester dont à fait preuve l’exécutif. L’information est pour l’essentiel sous contrôle entre une radio et télévision d’État de plus en plus calquée sur le modèle RDA d’avant 1989 et les médias privés possédés par une poignée de milliardaires qui, hasard étonnant, sont aussi ceux que l’on a retrouvés dans le « tour de table » où l’actuel président fut choisi comme représentant des oligarques. Même quand l’immense majorité des citoyens refuse la réforme des retraites, le pouvoir dispose de toutes les astuces et toutes les roueries de la constitution pour faire passer sa loi.
Tout naturellement, un tel régime est particulièrement propice à la corruption, au règne du passe-droit, au népotisme et à la protection des copains et des coquins si d’aventure la justice se mêle de leur chercher des poux dans la tonsure. De Benalla à Dupont-Moretti et Kohler, les exemples abondent. Dans un pays même modérément démocratique, le scandale du rachat d’une partie d’Alstom par General Electric aurait dû coûter à l’actuel président une inéligibilité à vie. Mais comme on le sait, il n’en est rien.
Rappelons pour terminer, ce que proposaient les Conventionnels de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » (article 35) - 13/3/2023