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12 mars 2023

Dérive totalitaire

Gilles Casanova

À la chute du Mur de Berlin, la grenouille – c’est-à-dire nous – à été plongée dans une marmite d’eau à température.

Elle était tellement agréable cette marmite, et tellement douce cette eau à température, qu’on n’a pas même senti qu’on était entré dans la marmite. Car elle était bien grande la marmite, et puis autour de nous, il y avait tellement de lumière, tellement de bruit, tellement d’images chatoyantes que nous n’avions pas bien remarqué que l’on nous introduisait dans une marmite.

C’était le Nouveau Monde, le Monde d’après – déjà ! Le merveilleux monde d’après la chute du Mur de Berlin, la fin d’un totalitarisme, la fin d’un monde coupé en deux, l’extension illimitée de la démocratie, la capacité, par la libre circulation sur l’ensemble de la planète où à peu près, de donner un nouvel élan aux activités humaines, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan culturel, et surtout sur le plan humain !

Quelle belle entrée dans la marmite.
 
Très vite, ils ont commencé à monter, très très légèrement, le feu sous la marmite.
 
Puisque la guerre froide était finie, il fallait instaurer un « Nouvel ordre mondial », meilleur, plus juste, il fallait ainsi faire un exemple pour montrer que le monde allait maintenant avoir de nouvelles règles, plus équitable, plus éthiques, qu’un nouveau camp, « Le Camp du Bien » allait enserrer de ses bienfaits la planète. L’affreux dictateur Saddam Hussein allait constituer le prétexte à la première Guerre du Golfe, « la mère de toutes les batailles » avait dit Saddam Hussein, qui avait compris ce que beaucoup d’autres n’avaient pas alors compris…
 
Nous ne fûmes pas très nombreux à dire que cette ratonnade à dimension internationale n’annonçait rien de bon, et que comme l’avait dit le ministre français de la défense de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, chaque bombe larguée sur le Koweït et l’Irak serait une bûche jetée dans le brasier ardent du terrorisme, qui ne demandait qu’à s’enflammer. On sait depuis à quel point cette prédiction était strictement exacte.

Le terrorisme qui en sortit servit de prétexte à toutes sortes de nouvelles interventions pour imposer ce « Nouvel ordre mondial » qui ressemblait tout à fait à l’extension mondiale du rôle de Gendarme du capitalisme, que les États-Unis d’Amérique se proposaient d’incarner, maintenant universellement.

Mais ce terrorisme fut aussi le moyen de limiter les libertés publiques. C'est la grande époque où l'on met en place le plan Vigipirate « pour trois mois seulement car il réduit significativement les libertés », nous sommes près de 30 ans plus tard, le plan Vigipirate est toujours activé malgré les bilans dressés régulièrement par le ministère de l'intérieur qui indiquent qu'il n'a pour effet que de réduire les vols à la tire dans les grandes gares parisiennes et « fluidifier les prises de congés des policiers et gendarmes ». En revanche il a comme caractéristique d'habituer à l'état d'urgence, état d'urgence qui sera proclamé puis installé dans le droit commun avec un cliquet de plus à chaque attentat produit par ce même terrorisme, qui a été engendré alors. On notera que régulièrement le niveau du plan Vigipirate aura été augmenté et que nous sommes maintenant de manière naturelle et courante dans le niveau extrême de ce plan, il en reste encore un à franchir, mais celui-là empêche vraiment la société de fonctionner.

Je vous passerai le détail des nombreuses interventions, souvent réalisées sous le drapeau de l’OTAN, qui n’avait été constituée qu’en « réaction au Pacte de Varsovie ». Mais le Pacte de Varsovie est mort et l’OTAN a étendu chaque jour ses bases et ses interventions, jusqu’à ce qu’elle rencontre la frontière russe, en Ukraine… Et là se joue le prochain épisode.

Voilà pour le domaine des relations internationales et le cadre global du monde dans lequel nous vivons. Mais si l’on renverse la perspective, c'est-à-dire que l'on ne part pas du général mais du particulier, et que l'on examine la vie quotidienne de chacun d’entre nous, la température a monté progressivement, mais sûrement, dans la marmite dans laquelle nous nous trouvons.

En juillet 1992 apparaissent les premiers téléphones GSM. Progrès technologique évident, ils vont nous permettre de communiquer les uns avec les autres non seulement lorsque nous sommes en dehors des domiciles ou des bureaux, mais comme ils nous suivent dans notre poche, ils vont faire passer la téléphonie d'une situation où elle se déroule d’un lieu à un autre lieu, à une situation où elle se déroule d’une personne à une autre personne. Ce qui change tout en termes d’influence de cette nouvelle façon de téléphoner sur les rapports humains. On n’appelle plus un lieu, on appelle une personne. Jadis quand le téléphone sonnait dans le vide c'est que personne n'était sur le lieu, maintenant quand le téléphone sonne dans le vide, cela vous indique que la personne que vous appelez, et qui voit votre nom sur son écran, ne souhaite pas vous répondre.
 
En Juin 2007 apparaît le premier iPhone. Là encore, un grand progrès technologique, on va pouvoir emporter dans notre poche notre ordinateur, doté d’un maniement extrêmement simplifié et d’une performance avancée, il sera connecté à tous les ordinateurs de la terre, et connecté aussi a toutes les poches qui comporteront des « smartphones ». L’iPhone sera bientôt imité par de nombreux constructeurs et accessible à des prix beaucoup plus bas, de la même façon que le GSM, à ses débuts fort coûteux, est devenu un produit extrêmement bon marché.

Puis ces ordinateurs de poche ont été dotés de tous les capteurs imaginables qui vous racontent votre état de santé, qui vous disent la couleur du ciel et, à quelques minutes près, le moment où la pluie ou le soleil vont se succéder, ils vont vous apporter des dizaines de millions de titres musicaux du monde entier, dans une qualité très supérieure à ce qu'elle était lors de leur publication originale, avec l'aide de mini ou de maxi écouteurs, qui vont vous isoler de votre environnement pour vous installer dans une bulle sonore, à partir d’une simple pression du doigt, ou d’un simple mot prononcé.
 
Puis ces petits téléphones vont parler, ils vont vous permettre de vous exprimer avec votre voix dans la langue de votre choix, pour communiquer à votre interlocuteur étranger, à travers le haut-parleur, la phrase que vous aurez prononcée dans votre langue… comment ne pas voir la un réel progrès.

Dans le même temps, un surgissement de virus – dont on se rend compte un peu comme lors de chacune des interventions de l'OTAN, bien après coup, qu'elle ne ressemblait pas exactement à ce qui était annoncé pour justifier les bombardements –, surgissement opportun de virus va transformer ce téléphone en un instrument de contrôle de votre vie et de vos actions.

En France par exemple un logiciel qui s'appelle « Tous anti Covid » transmettra en temps réel au ministère de l'intérieur le nom de toutes les personnes que vous approcherez et le temps pendant lequel vous resterez à leur proximité. Il n'est pas certain que ce fut tout à fait nécessaire contre ce virus, d’ailleurs les études d'impact qui ont été faites ont montré que cela n'avait pratiquement servi à rien, du point de vue sanitaire, mais du point de vue de la domestication de la population, cela n'a pas été inutile.
 
On dispose maintenant des documents qui nous montrent que le gouvernement britannique – probablement comme le nôtre – a eu des débats sur l'utilité de l'obligation du masque, et après avoir été convaincu par les scientifiques que cela ne servait à rien, a pris la décision politique de l'imposer, exactement comme pour les confinements, dans des intentions autoritaires sans rapport avec les nécessités sanitaires. Puisqu'on voit aujourd'hui que le seul pays qui n'a pas confiné, le seul pays qui n'a imposé aucune mesure spécifique de manière autoritaire en Europe, la Suède, est le pays qui a eu le moins de victimes.

Mais ces smartphones ont aussi d’autres talents, regardez le métro parisien : deux ou trois affiches par station vous vantent les mérites des relations extraconjugales que vont favoriser ces petits appareils, pour un coût très modique, auprès des opérateurs privés de rencontres interpersonnelles. Voilà qui change aussi le mode de vie, en rapprochant des gens individuellement, mais aussi en déconstruisant des structures historiques de vie en commun.

Depuis la chute du Mur de Berlin, les sciences et les techniques ont progressé à une vitesse de plus en plus remarquable, mais elles ont été utilisées progressivement avec une rapidité de plus en plus intense par diverses autorités publiques ou privées pour contrôler le comportement des individus – par exemple les assurances de santé privées qui lient leurs tarifs à ce que votre smartphone-espion leur raconte de votre vie – pour limiter l'espace de liberté des individus et pour les isoler les uns des autres, dans le but de constituer cette « société liquide ». Cette société qui fera de chacun de nous un pion isolé face à quelques centaines de milliardaires qui contrôleront quelques dizaines de grands groupes financiers globalisés au niveau mondial, dont aucune contestation du pouvoir ne sera plus même imaginable.

Mais l'eau est déjà très chaude, et il devient difficile de trouver, pour la grenouille que nous sommes, la force de se lancer hors de la marmite par un appui sur ses pattes arrières, nous ne savons plus abandonner tout cela, parce que nous sommes enserrés dans ces filets, ainsi on nous a fait cuire.
 
La seule possibilité restante, c'est de renverser la marmite, cela demande beaucoup de force mais c'est encore possible pour un certain temps. Encore faudrait-il être en mesure de proposer une autre utilisation de toutes ces technologies, c’est-à-dire une autre forme d’organisation sociale. Et l’on voit bien que les couches intellectuelles qui habituellement jouent ce rôle dans la société, ont été anesthésiées elles aussi, dans la marmite, et ne sont plus que des auxiliaires de la propagande du moment.

Pour ceux qui ont passé 40 ou 50 ans, regardez à quoi ressemblait la vie dans votre adolescence et à quoi elle ressemble aujourd'hui, l'évolution des sciences et des techniques a progressivement tellement modifié chaque élément de votre vie, à des occasions diverses, que l'on ne reconnaît plus, on n’imagine plus très bien à quoi ressemblait notre vie quotidienne, notre vie en général, à la fin du XXe siècle.