Dans un accès d’irréflexion, Emmanuel Macron nous a expliqué que « la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus », et qu’elle ne saurait « l’emporter sur les représentants du peuple ».
Comme souvent, M. Macron se veut insultant et y arrive fort bien. Parce qu’il y a un grand mépris dans l’opposition qu’il fait entre « la foule » et « le peuple », comme si l’une et l’autre appartenaient à des catégories distinctes, comme s’il y avait une différence irréconciliable entre les deux. Ce qu’il veut nous faire comprendre, c’est que « la foule » qui conteste sa loi, cette vile piétaille qui ne le comprend pas, ne fait pas partie du peuple, qu’elle est même contraire au peuple – comme, il n’y a pas si longtemps, il avait voulu que les non-vaccinés ne soient plus des citoyens. Pour M. Macron – et il n’a jamais manqué une occasion pour le signifier – deux groupes habitent la France : ses adeptes et une sorte de plèbe presque indésirable – ceux « qui ne sont rien ».
Dans sa vision expéditive des choses, « la foule » ne l’emporte pas sur les élus. Mais comment peut-il oublier, et pourquoi, que « la foule » vote, que c’est elle, et elle seule, qui envoie les élus sur les bancs de l’Assemblée nationale ? Que c’est le seul pouvoir qu’elle a encore, et que lui-même fait tout pour affaiblir ce pouvoir.
Il est possible d’imaginer que si une majorité avait voté la censure, la loi sur la réforme des retraites aurait été, ne serait-ce que pour un temps, mise de côté. Mais cette majorité ne s’est pas constituée. Et cet échec contredit les paroles de M. Macron.
Le peuple – qui, même si cela déplaît au président, comprend ce qu’il désigne, agacé, comme étant « la foule » – choisit tous les cinq ans ses représentants. Il leur fait confiance et leur donne mandat pour qu’ils parlent en son nom. On lui a expliqué que cela s’appelle démocratie et que cela lui donne le droit et le pouvoir d’exprimer sa volonté à travers ceux dont il a fait ses députés. Le premier devoir de ces députés n’est, donc, pas de se plier aux intérêts et aux calculs souvent ineptes des partis ; leur premier devoir est de consulter ceux qui les ont élus, de les écouter et de porter leur voix devant la représentation nationale. C’est un fait définitivement ignoré que ce ne sont pas les élus qui on fait le peuple, mais le peuple qui fait les élus. Se rappeler cela serait pourtant le commencement de la démocratie.
Il y a, dans le pays, une très large, très forte opposition à la loi sur les retraites. Indifférent à cette réalité, M. Macron a eu recours, pour la faire adopter, à la méthode autoritaire, celle qui fait taire les représentants du peuple. Et ceux-ci, ne se constituant pas en majorité, ont accepté le silence qui leur était imposé. Ont accepté, et c’est inquiétant, la manière forte.
Cette France qui est, dans sa grande majorité, opposée à la loi sur les retraites n’a trouvé à l’Assemblée nationale qu’une minorité de députés pour porter sa voix. C’est ce que M. Macron considère être le « peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus ». C’est ce qu’on peut appeler aussi une trahison. Une partie de ceux qui ont été choisis par le peuple pour porter sa voix ont décidé de voter contre la volonté de leurs électeurs. En quoi consiste, alors, leur mandat ? Qu’ont-ils fait d’autre sinon mettre le peuple à l’écart ? Dans quelle mesure sont-ils représentatifs ? Peuvent-ils encore se prétendre élus du peuple ? Dans leur esprit, endormi à l’ombre de M. Macron, ils peuvent. Quant à la « foule » qu’ils ont ignorée, qu’elle passe son chemin ! Elle ne mérite que leur inattention.