Un banal post Linkedin est l’occasion pour moi de vous expliquer un peu pourquoi il y a la guerre en Ukraine plutôt que la paix.
Le post ci-dessus est issu de l’Atlantic Council, un think tank dont l’activité est de promouvoir les activités de l’OTAN auprès des politiques et, indirectement, du grand public.
Dans ce message (consultable sur le site de l’Atlantic Council), typique de la pensée stratégique occidentale, l’organisation fustige les avocats d’une paix immédiate en Ukraine, ou au moins d’une action pour figer le conflit dans son état actuel. C’est la solution classique qui s’offre aux diplomates, pour tenter de résoudre par la suite la crise par la voie diplomatique. On l’a vue, par exemple, s’appliquer à propos du Haut-Karabagh, en Arménie/Azerbaïdjan, pas plus tard que l’année dernière. Le but de ce genre de paix est de protéger les populations civiles et les infrastructures, la guerre n’épargnant ni les unes, ni les autres.
L’Atlantic Council considère qu’en Ukraine, une telle paix reviendrait à reconnaître les « gains territoriaux » de la Russie, à savoir la Crimée (annexée en 2014), la République Populaire de Donetsk, la République Populaire de Lougansk, l’Oblast de Kherson et l’Oblast de Zaporijjie. Ce n’est absolument pas le cas : une paix immédiate (ou en tout cas un armistice, c’est-à-dire la cessation des hostilités) aurait pour effet de figer le front, mais n’aurait aucunement pour effet juridique de reconnaître quelque concession de territoire que ce soit.
La logique de l’Atlantic Council (et de toute la pensée militaire occidentale, en général) est qu’il faut d’abord « reconquérir » par les armes ces territoires avant de commencer une quelconque négociation de paix. Il s’agit d’obtenir un ascendant stratégique sur l’adversaire pour le forcer à accepter plus de concessions lors d’éventuelles négociations de paix.
Ceci, mesdames et messieurs, est le résultat de 50 années d’enseignement de la « Théorie des jeux » dans les écoles de pensée stratégique. La théorie des jeux est une série de principes selon lesquels on cherche à maximiser des gains tout en minimisant la mise de départ et/ou les pertes. Basée essentiellement sur des calculs statistiques, cette théorie est issue de la recherche en économie, où elle a fait sa première apparition sous la plume de John von Neumann et d’Oskar Morgenstern, en 1944. C’est surtout John Nash qui en sera le plus fervent constructeur, et qui permettra à ces principes dits « ludiques » (d’où le nom « théorie des jeux ») de s’appliquer dans des domaines aussi variés que la sociologie, la psychologie, et bien sûr, la stratégie militaire.
Le développement de cette pensée amène le militaire à envisager la guerre comme un « jeu », où il faut maximiser les « gains » (territoriaux, économiques, politiques…) tout en minimisant les pertes (territoriales, troupes, équipements…). Elle entraine, dans la pensée des généraux, l’idée que pour que les armes se taisent, il faut avoir obtenu quelque chose dont la valeur surpasse les coûts dépensés pour l’acquérir.
Les pays de l’OTAN ont dépensé en 1 an plus de 240 milliards de dollars dans ce conflit, chiffre qui ne fait qu’augmenter chaque jour ou presque, avec toujours plus d’annonces de livraisons de matériels, de munitions, et d’aides financières (qui ne sont que des prêts à fort intérêts, mais passons…). Ce chiffre vertigineux donne une idée de ce qu’il faudrait que l’OTAN obtienne pour accepter de ne serait-ce que figer la guerre en Ukraine, dont le gouvernement n’a plus son mot à dire, et qui de toute façon ne dirait probablement rien puisqu’il profite des sommes astronomiques englouties dans le pays pour s’enrichir de façon exponentielle via la corruption et divers trafics très rentables en temps de guerre…
L’étendue des pertes occidentales en Ukraine, dans cette perspective, s’apparente à celles d’un joueur compulsif dans un casino, qui s’endette de plus en plus en espérant se refaire grâce à un coup de chance.
La guerre n’est pas un jeu, elle a causé la mort de centaines de milliers de personnes depuis un an, et a déplacé plus de 13 millions d’Ukrainiens. Nos gouvernants et leurs états-majors sont coupables directement de la ruine de l’Ukraine et de l’Europe.