Cuivres, trompettes, hautbois.
Une fois n'est pas coutume en six ans de macronisme, l'honnêteté oblige aujourd'hui à tirer bas son chapeau en hommage au Banquier Président.
C'est la première fois en effet non seulement qu'il ne nous fait pas honte, mais (il faut bien oser le terme) qu'il nous fait infiniment plaisir.
Oh, certes, je ne me fais aucune illusion : Emmanuel Macron n'est sûrement pas devenu gaulliste sous le coup d'une soudaine illumination nocturne comme Pascal est devenu, ou redevenu, chrétien pendant la nuit de feu de son Mémorial.
Comme tous les hommes d'État liés à certains milieux d'affaires et attachés au maintien de la mondialisation économique, il sait qu'un certain nombre de grandes entreprises multinationales françaises (dont celles dirigées par son ami et mécène Bernard Arnault) ont impérativement besoin, dans les temps difficiles que traverse l'économie européenne depuis deux ans, de demeurer présentes sur le marché chinois, qui est désormais le premier du monde.
Mais il n'empêche : sa sortie sur Taïwan et sa façon cinglante de stigmatiser, sous le nez même de l'effroyable Ursula von der Leyen (qu'il a emmenée en Chine un peu comme un grand bourgeois balzacien ou jamesien exhiberait dans un cercle aristocratique une parente pauvre avide de recueillir son héritage), le panurgisme du "suivisme" des dirigeants européens atlantistes sont absolument remarquables et fort bienvenues, surtout au moment précis où la marine chinoise lance des manoeuvres impressionnantes autour de l'île séparatiste qui a cru malin de décréter un embargo sur ses semi-conducteurs.
Cela est d'autant plus jouissif et inattendu que Macron savait très bien quelles réactions indignées ses déclarations allaient provoquer au sein des milieux institutionnels et médiatiques européistes dont il est proche, et qui d'habitude le soutiennent aveuglément.
Peut-être y a-t-il aussi chez lui une forme d'amour déçu vis-à-vis d'une oligarchie technocratique et pontifiante qui finalement ne l'a jamais vraiment soutenu dans les moments difficiles, alors qu'il est de loin le président français de la Ve République qui aura le plus véhémentement et le plus constamment défendu sa cause contre une opinion publique française plutôt portée vers l'euroscepticisme.
Enfin et surtout, on ne dira jamais assez à quel point il a raison sur le fond.
Car :
1) A partir du moment où Washington, Londres et Canberra ont exclu sans ménagement la France de l'organisation militaire de l'AUKUS censée prolonger le dispositif de l'OTAN dans la zone indo-pacifique, il n'y a aucune raison pour que le président français prenne des gants avec ces prétendus alliés qui n'en sont pas ;
2) Il est parfaitement exact que la France n'a aucun intérêt national qui la pousserait à prendre fait et cause pour l'indépendance de Taïwan, ou à se laisser entraîner dans un catastrophique conflit mondial relatif au maintien de la présence militaire américaine près du détroit de Formose. Ce d'autant plus que le droit international - au nom duquel on prétend contester les prétentions territoriales de Moscou sur l'Ukraine - n'a jamais reconnu ladite indépendance, au moins depuis le voyage de Nixon à Pékin en 1972.
Quel plaisir, en tout cas, de voir la mine consternée et réprobatrice des journalistes assermentés des grandes chaînes d'information continue, depuis deux jours, ainsi que la gueule de bois des puritains allemands, des cuistres libéraux américains et des fanatiques bouffeurs de Russes polonais.
Non, vraiment, merci dix fois au président : même s'il va sans doute comme toujours s'amender dans quelque temps, il nous aura offert le plus délicieux œuf de Pâques, laqué comme un canard chinois, que nous ayons savouré depuis longtemps.