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18 juillet 2023

Dominique Lelys

Lorsque Milan Kundera nous parlait, dans la Revue des Deux Mondes, de la disparition de notre civilisation…

« Une chose me paraît évidente : l'Europe nous a quittés. Son départ vers le néant s'est passé devant nos yeux. Et nous faisons semblant de n'avoir rien vu. Peut-être n'avons-nous vraiment rien vu. Cet incroyable événement n’a donc été ni médité, ni analysé, ni même décrit, ni même constaté, parce que le monde tel qu'il s'est formé dans les dernières décennies est devenu indifférent à l'œuvre de Goethe, à celle de Fichte, d’Heidegger, de Fellini, donc à leur présence et à leur absence. Si un vieil oncle que personne n'a fréquenté meurt, on pourra facilement ne pas s'apercevoir de sa disparition. Qui d'ailleurs est vraiment bouleversé, atteint, abîmé par l'effacement de la culture européenne ? Il y a malgré tout deux victimes qui doivent en souffrir : d'abord, bien sûr, la philosophie et l'art eux-mêmes. Et puis, la France. Car l'autorité exceptionnelle de la France dans les deux, trois derniers siècles était due à la place privilégiée que les œuvres culturelles occupaient dans la vie de l'Europe. Je parle à partir de mon expérience personnelle : l'ambiance spirituelle de toute ma jeunesse tchèque fut marquée par une francophilie passionnée. C'était juste après la guerre; ce qui signifie que l'amour de la France a plus ou moins facilement survécu au choc de Munich (pourtant vécu douloureusement comme une trahison). Comment a-t-il pu y survivre? Parce que l'amour de la France ne résidait jamais dans une admiration des hommes d'État français, jamais dans une identification à la politique française ; il résidait exclusivement dans la passion pour la culture de la France : pour sa pensée, pour sa littérature, pour son art (l'art moderne en particulier). Quand la culture pour un Européen ne représente plus grand-chose, c'est par une logique fatale que le monde devient indifférent à la France.
Et puisqu'on rejette le passé toujours avec une certaine passion, cette indifférence prend souvent le caractère d'une aversion, et l'indifférence à la France devient francophobie (une raison de plus pour moi d'aimer la France, sans euphorie, d'un amour angoissé, têtu, nostalgique). »