L’Occident ne semble plus avoir d’autre ambition en politique internationale, plus d’autre projet, que d’anéantir la Russie. Vieux rêve des néo-conservateurs américains, agissant exactement comme les pigeons qui, une fois posés sur une cheminée, ne supportent pas la présence d’un autre congénère et l’attaquent pour l’en déloger. De la même manière, mais à une échelle infiniment plus grande, les États-Unis veulent le monde pour eux seuls et l’idée de partage avec qui que ce soit leur répugne. Malade de suivisme, la vieille Europe a fait sien ce fantasme et s’acharne contre elle-même, persuadée d’avoir ainsi trouvé le meilleur moyen d’abattre l’ennemi imaginaire de l’Est.
Mais peut-on vaincre un adversaire qu’on ne connaît pas, qu’on n’arrive pas à comprendre ? Depuis le commencement de cette guerre, tant d’inepties ont été dites sur la Russie par ceux qui, théoriquement, devaient tout savoir sur elle, que l’Occident batailleur a fini par donner de lui, de ses services d’espionnage, de ses analystes une image proprement ridicule. Une image qui contredit son discours intransigeant, le rend futile.
Ne veut-on ou ne peut-on connaître la Russie ? Avons-nous l’impression de lui être tellement supérieurs que cet effort ne nous semble pas valoir la peine d’être fait ? Ou tient-on absolument à devenir l’objet de ses moqueries ?
Il y a, cependant, un soupçon d’inquiétude dans tous les fantasmes que nous créons. Ne disons-nous pas – comme des enfants perdus la nuit dans la forêt – qu’elle est si faible tout simplement parce que nous la voyons forte ? Ne cherchons-nous pas à nous rassurer en annonçant tout le temps son écroulement ? Nous prenons nos vœux pieux pour des armes redoutables et nous les brandissons en faisant les gros yeux. Et nous déchirons vaillamment l’air tiède en restant figés dans l’ignorance dont nous faisons nos certitudes.