Commençons par dire que les mots ne suffisent pas pour traduire l’immense peine que nous éprouvons suite à ce nouvel assassinat au couteau d’un professeur.
C’est donc humblement que nous adressons d’abord par ce message nos condoléances et notre solidarité à la famille de Dominique Bernard, à son épouse, à ses filles, à ses parents, à ses amis ainsi qu’à ses élèves de qui il était unanimement apprécié. Cet excellent professeur de lettres au lycée d’Arras, dont le visage exprime avec une noble simplicité les plus hautes vertus humaines que sont la générosité, l’humilité, l’intelligence, est mort à 57 ans dans l’exercice de ses fonctions, tué parce qu’il était professeur, et ce près de trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty.
Cela n’aurait jamais dû arriver. Cela ne devait plus jamais arriver. Et cela néanmoins est arrivé.
Nous adressons également nos pensées solidaires et émues à David Verhaeghe, professeur d’EPS grièvement blessé au cours de cette attaque, ainsi qu'à Jacques Davoli, chef d’équipe des agents techniques de l’établissement, lui aussi grièvement blessé. Puisse le soutien de vos proches, celui de l’institution et celui de tous les personnels dont nous nous faisons ici les relais vous donner la force de surmonter cette terrible épreuve.
A toi Dominique, à toi David, à toi Jacques, nous voulons aussi dire, malgré la douleur, la stupeur, la colère aussi, notre profonde admiration pour la bravoure dont vous avez chacun fait preuve en cherchant à protéger, au péril de la vôtre, la vie de vos collègues ainsi que la vie des élèves qui vous étaient confiés. Cela s’appelle de l’héroïsme. Vous êtes des héros. La République vous doit l’hommage que méritent ses héros.
Vous n’êtes cependant pas des soldats supposés servir sur un terrain d’opérations dangereux, et vous n’auriez jamais dû vous trouver dans la situation de perdre votre vie ou de l’exposer. Surtout depuis Samuel Paty, qui lui non plus n’aurait jamais dû se trouver dans la situation horrible où il a été plongé. Il est temps que la République soit vraiment aux côtés de ses hussards noirs autrement que le temps d’une cérémonie, et qu’au lieu de laisser lentement périr son école, elle sache la défendre et se mettre au niveau de ceux qui consacrent leur vie à la transmission des connaissances, à l’élévation de la jeunesse, à la propagation des Lumières. Il est temps que le gouvernement prenne conscience du fait que le corps enseignant est le premier et peut-être le seul rempart contre l’obscurantisme ; les terroristes eux l’ont bien compris et c’est précisément la raison pour laquelle ils s’attaquent à des professeurs.
En tant que syndicat voué à la défense des intérêts matériels et moraux des personnels, et désormais aussi à la défense de leurs intérêts vitaux, Action & Démocratie ne peut accepter que l’on se résigne à compter ses morts et faire part de sa compassion pour les victimes après chaque attentat, comme si tout cela était une fatalité et qu’on n’y pouvait rien. Il faut regarder les choses en face et cesser de se cacher derrière la langue de bois car, si on ne le fait pas, d’autres encore paieront de leur vie le prix de notre lâcheté.
Dominique Bernard est mort sous les coups de couteau d’un individu dont la présence sur notre sol interroge et qui était inscrit au fichier des personnes recherchées (fiche S). Comment un tel individu a-t-il pu concevoir et perpétrer son crime odieux alors qu’il était censé être sous surveillance ? Comment a-t-il pu pénétrer aussi facilement dans un établissement scolaire ? Combien d’individus « fichés S » sont actuellement présents dans les établissements scolaires ou sont susceptibles de les fréquenter ? Y en a-t-il parmi nos élèves ? Y en a-t-il parmi les personnels ou les parents d'élèves ? Y en a-t-il parmi les élèves majeurs et étudiants post-bac (BTS) ou encore les adultes majeurs en formation en CFA et GRETA dans des lycées ? Le devoir d’un syndicat est de poser ces questions, celui du gouvernement est d'y répondre. Action & Démocratie exige que les informations d'une telle importance soient systématiquement communiquées à l’Éducation nationale et aux personnels qui, pour des raisons évidentes, doivent les posséder pour pouvoir prendre les bonnes décisions, notamment devant ce qu’on appelle des « signaux faibles ». Ne pas le faire reviendrait à exposer tous les agents mais aussi tous les élèves au danger.
Dominique Bernard est mort sous les coups de couteau d’un individu qui, en outre et selon toute vraisemblance, a répondu à l’appel d’une organisation terroriste à mener un « jihad mondial » le vendredi 13 octobre 2023. Cet appel était connu de tous et notamment des autorités. A-t-il été suffisamment pris au sérieux par ces dernières ? On peut s’interroger puisque le ministre Gabriel Attal a annoncé le renforcement des mesures de sécurité après cet attentat : n’était-ce pas plutôt avant, et dès l’appel du Hamas, qu’il fallait renforcer les mesures de sécurité ? Pourquoi les établissements scolaires n’ont-ils pas fait l’objet d’une attention comparable à celle de certains lieux de culte alors que l’on sait, depuis l’assassinat de Samuel Paty, que les professeurs sont des cibles ?
Enfin, Dominique Bernard est mort sous les coups de couteau d’un individu qui avait été scolarisé dans cet établissement d’Arras et qui était persuadé de la légitimité de son geste. Ce serait faire preuve d’une naïveté coupable que de réduire ce geste à celui d’un « déséquilibré » ou d’un « radicalisé ». Les choses sont hélas beaucoup plus graves, et nous qui sommes sur le terrain le constatons chaque jour. En particulier depuis l’attaque terroriste d’une violence inouïe perpétrée en Israël par le Hamas et la riposte de l’État israélien, nous voyons se développer en France des discours nauséabonds, flirtant parfois avec l’antisémitisme le plus décomplexé, qui ont pour effet, sinon pour objet, de justifier l’injustifiable, de faire passer la barbarie pour de la légitime défense ou encore de transformer les victimes en bourreaux et réciproquement les bourreaux en victimes. Ces discours, qui dans leurs versions les plus excessives et caricaturales s’apparentent à une apologie du terrorisme, se répandent par l’intermédiaire des réseaux sociaux jusque dans les couloirs des établissements, les salles de professeurs, voire au sein des salles de classe. Une étude de l'IFOP de décembre 2022 avait révélé que 56% des professeurs du secondaire déclaraient s'être auto-censurés afin d'éviter tout incident déclenché au nom de convictions religieuses ou "philosophiques" : c'était 7 points de plus qu'en 2020 et 20 points de plus qu'en 2018 ! L'auto-censure des collègues, autrement dit la peur, est une réalité, et celle-ci n'est pas l'un des moindres dégâts collatéraux de ces discours qui, sous couvert d'expliquer, finissent par excuser l'abjection. Action & Démocratie ne peut que les condamner solennellement et avertir tous ceux qui, au sein de l’Éducation nationale, font preuve de complaisance envers le terrorisme d'une manière ou d'une autre, qu’ils contribuent par leurs postures à installer la confusion dans les esprits, ceux des plus jeunes notamment.
En tant que syndicat des personnels de l’Éducation nationale, nous estimons n’avoir ni à commenter ni à prendre position sur quelque conflit que ce soit, a fortiori sur des conflits aussi complexes que le conflit israélo-palestinien, et nous savons que le seul devoir des enseignants en de telles circonstances consiste justement à donner aux jeunes gens les instruments qui leur permettent de penser la complexité du réel. Mais quel que soit le niveau de complexité de la situation au Proche-Orient, un acte barbare est un acte barbare et doit être dénoncé comme tel sans tergiverser, sans tourner autour du pot, sans « oui, mais… ». C’est pourquoi Action & Démocratie, à l’instar de la fédération des services publics de la CFE-CGC dont nous faisons partie, condamne sans réserve les monstruosités commises par le Hamas en Israël, tout autant que les appels au meurtre suivis d’effets que cette organisation terroriste a lancés, l’assassinat de notre collègue à Arras étant précisément l’un de ces effets. Il faut le dire. C'est la moindre des choses que nous devons à Dominique Bernard.
Il est urgent que le gouvernement et le ministère de l’Éducation nationale prennent la mesure de la gravité de la situation, de la profondeur du problème et de la persistance de la menace de mort qui pèse sur les professeurs en France. Il est urgent qu'ils prennent aussi conscience de l’inefficacité des mesures de surveillance et de protection en vigueur actuellement, pour ne rien dire de l’inutilité absolue du bavardage concernant les « valeurs de la République » qu’on nous ressort après chaque attentat.
Tout cela dépasse largement le cadre syndical et concerne gravement le registre des responsabilités régaliennes de l’État. L’entrisme de l’islamisme est une réalité documentée, et dénoncée, entre autres, par les Imams de Drancy et de Bordeaux, Hassen Chalghoumi et Tarek Oubrou : ils parlent sans détour de cette jeunesse désorientée, fragilisée et captée, fascinée par un activisme anti-démocratique qui est à l’œuvre, qui gangrène au-delà des quartiers sensibles, un nombre effarant de campus universitaires, d’IESP et de grandes écoles. Au sein même de l’enseignement secondaire, des campagnes idéologiques sont menées tambour battant par des organisations qui jouent avec le feu : Action & Démocratie non seulement les désapprouve mais les dénonce et s’en démarque absolument, ici même, sans frilosité.