Une semaine donc, pile-poil, qu’elle se trimballait avec son trou dans la bouche, bien devant. Aucun dentiste "n’avait trouvé la disponibilité" pour refixer la dent sur pivot. Une assistante d’un cabinet réputé en esthétique dentaire, au téléphone, avait failli lui donner le rendez-vous et quand elle avait mieux compris de quoi il s’agissait exactement, avait rectifié le tir : "pas de rendez-vous disponible avant un mois…"
Les deux ou trois premiers jours, elle avait éprouvé de la honte, mettait sa main devant sa bouche, expliquait ce qui lui arrivait, comme si elle était fautive, comme si ce n’était pas ce système qui permettait que, si elle n’était pas une bonne machine à cash, elle resterait avec son trou dans la bouche, quand bien même ça lui faisait une tête de cloche. Et puis la colère et le dégoût l’avait emporté sur la honte et tout le reste. Elle n’en avait plus rien eu à faire, elle n’expliquait plus, elle ne mettait plus sa main devant sa bouche. Elle était l’image sans mensonge de ce que cette "société moderne et civilisée" faisait des gens qui n’avaient ni carnet d’adresses ni fortune, des gens qui ne sont rien et qui n’auraient qu’à traverser simplement la rue pour s’en sortir. Et ça, il ne fallait plus le cacher.