Yann Thibaud
L'ordre ancien, religieux, hiérarchique, disciplinaire et dogmatique n'est plus ; il s'est effondré, a laissé la place, tout au moins en Occident.
Car ailleurs dans le monde, l'ordre ancien résiste et reprend même des couleurs.
En Afrique et au Moyen-Orient, l'islam est flamboyant et bien souvent hégémonique.
En Inde et en Extrême-Orient, hindouisme et bouddhisme continuent d'être pratiqués avec ferveur.
En Russie, l'orthodoxie a retrouvé toute sa place, après sept décennies de glacis communiste.
En Amérique latine et en Afrique notamment, les sectes évangéliques prolifèrent et gagnent chaque jour du terrain.
Et pendant ce temps, l'Occident, ayant soigneusement liquidé son héritage culturel, se vautre et se perd dans le nihilisme le plus glauque et le relativisme le plus chaotique, et finalement déprime et désespère, en proie aux cauchemars et démons de la décadence.
Faut-il donc revenir à l'ordre ancien, reprendre le chemin des temples et des autels, se réfugier dans le labyrinthe sécurisant et hypnotique des dogmes et des rituels, se prosterner de nouveau devant des statues et des pontifes ?
Beaucoup le croient ou l'imaginent, mais on ne renonce pas si facilement aux sirènes de la liberté et à l'appel de la sensualité.
La philosophie des Lumières et son idéal d'émancipation demeurent à jamais inscrits dans le cœur et l'esprit des occidentaux, car ils constituent leur mission sacrée et leur vocation profonde, même s'il furent bien souvent trahis et oubliés.
Certes, les religions, en posant des règles et des commandements, simples et aisément applicables, constituent des garde-fous appréciables à la folie humaine et au reniement de la loi naturelle.
Alors que l'individu post-moderne, livré à lui-même, sans repère ni cadre, ne sait plus quoi faire, quoi dire et quoi penser.
Il s'est affranchi et échappé de la prison des traditions mais, depuis, erre sans fin dans le dédale de son ignorance métaphysique et de ses pulsions incertaines.
Il s'invente parfois de nouvelles religions, approximatives et sans réelle consistance, comme le wokisme, le transhumanisme ou l'obsession climatique, ayant épuisé les délices du marxisme ou du trotskisme.
Jusqu'où ira donc sa course folle ?
Combien de temps mettra-t-il avant de trouver le chemin de la grâce, celui de la mystique éternelle, de la spiritualité évidente, fluide et naturelle, celle que connaissent les animaux, les enfants et les sages, celle du pouvoir et de la sagesse de l'esprit ?
La question de fond est ainsi la suivante : le mot d'ordre de l'aventure hippie comme de mai 68 était simple : être libre et laisser le vieux monde derrière soi, ce qui fut fait.
Mais après avoir détruit ou déconstruit l'ordre ancien, il nous faut maintenant rebâtir et reconstruire non pas un nouvel ordre, mais un nouveau savoir, une connaissance opérative, prélude et fondement d'un nouveau monde, d'une nouvelle civilisation.
Nous vivons aujourd'hui, c'est bien clair, les douleurs de l'enfantement de ce monde alternatif : tout ce qui doit être changé, transformé, abandonné nous éclate au visage, que ce soit la violence, le mensonge et l'hypocrisie des puissants, comme notre propre impuissance, immaturité ou désorganisation.
Mais les peuples s'éveillent irrésistiblement et cet éveil est glorieux, puissant, ludique et inarrêtable.