Gabriel Nerciat
26/2/2024 - Je suis persuadé que, des deux quinquennats d’Emmanuel Macron, on ne retiendra après coup que les crises violentes ou à potentialité insurrectionnelle qui les ont traversés : soulèvement des Gilets jaunes, manifestations syndicales contre la réforme des retraites, émeutes allogènes des banlieues islamisées, révoltes paysannes. La liste n’est sans doute pas close.
La raison en est connue depuis longtemps : un président irresponsable et sorti de nulle part, qui n’a pas d’autre conviction affichée que l’adaptation sans retour (mais pas sans concessions) à la mondialisation libre-échangiste ou à défaut le renforcement de la « souveraineté européenne » (c’est-à-dire la diminution des pouvoirs nationaux soumis à la légitimité du suffrage au profit du renforcement des pouvoirs technocratiques et supranationaux de la Commission de Bruxelles ou du Conseil de l’Europe) ne peut que provoquer la colère et le dégoût de la part de populations, de plus en plus visibles à défaut d'être majoritaires, que le projet européiste et/ou globaliste accule à la misère ou à la marginalisation sociale.
D’où les deux seules questions qui vaillent : 1) Macron, viscéralement rejeté aujourd’hui par les deux tiers des Français et privé de majorité parlementaire, pourra-t-il encore durer trois ans à l’Elysée, du moins sans avoir à subir l’épreuve fatale d’une dissolution de l’Assemblée ? 2) Saura-t-il imposer à la nation un successeur issu de son bloc d’extrême-centre, capable de recueillir dans les urnes la majorité des suffrages requis ?
Il est encore trop tôt pour répondre avec certitude et rigueur à ces deux questions, mais on se prend à rêver à ce qui serait advenu si l’insurrection des paysans avait été contemporaine de celle des Gilets jaunes.
La coalition des deux révoltes aurait sans doute empêché la phagocytation voulue du mouvement par l’extrême-gauche anarcho-mélenchoniste (même en cas de grève des étudiants), et aurait eu les moyens de contraindre le Banquier président à une dissolution de la Chambre basse, que le blocage total de presque toutes les grandes métropoles du pays acquises au régime actuel aurait rendu inéluctable.
Aujourd’hui, malgré la sympathie que les paysans recueillent, il est probable qu’il ne se passera rien de sérieux.
Les Français sont devenus trop résignés, désespérés ou apathiques, trop vieux, narcissiques et trouillards aussi, pour tenter quoi que ce soit d’envergure.
On sait très bien qu’à l’exception de quelques grands céréaliers et des exportateurs mondiaux de vin, de cognac ou de champagne, peut-être aussi des grandes fermes porcines productivistes de Bretagne (et encore : leur tour un jour viendra pour elles aussi, c’est certain), tout le monde de la paysannerie française est promis à une disparition lente mais inéluctable, comme ce fut le cas de pans entiers de l’industrie dès l’ouverture des frontières nationales au grand marché européen dominé par l’Allemagne puis mondial dominé par la Chine et l’Asie.
Peut-être parce que même ceux qui sont opposés à la mondialisation libre-échangiste (je n’inclus évidemment pas parmi eux les électeurs de la NUPES et de l’écologie politique, adeptes de la décroissance, du wokisme, du cosmopolitisme urbain et du véganisme) ne savent pas quoi lui opposer vraiment.
Tant qu’un récit alternatif, même teinté de nostalgie populiste comme l’est par exemple celui du courant néo-isolationniste incarné par Trump aux Etats-Unis depuis 2016, à celui véhiculé depuis trente ans par Alain Minc, Jacques Attali ou Yascha Mounk n’aura pas été élaboré et popularisé sous nos cieux, les partisans du grand carnage libre-échangiste, multiculturel et bureaucratique continueront à trouver les relais nécessaires pour se maintenir au pouvoir en Europe.
En misant, faute de mieux, sur ce qu’il y a de pire dans la psyché humaine en butte aux schémas darwinistes dominants : « On sait ce qu’on perd, mais on ne sait pas ce qu’on trouve. »
Même quand plus personne ne croit vraiment à la pérennité de ce qu’il est censé perdre.