Radu Portocala
Confessions sur l’écrit (III)
Ces coups bas du sort me firent croire que je portais malheur aux éditeurs et, principalement, aux directeurs des maisons d’édition.
Avec cette idée en tête, je revins sur mes pas et m’adressai à ceux qui, dès le début, auraient pu me publier. J’eus affaire à un éditeur qui, avec le temps, est devenu une sorte d’ami, Mircea Ciobanu. Il lut mon manuscrit devant moi, l’accepta sur-le-champ, et m’expliqua ce qui allait suivre : le rédacteur-en-chef devait, lui aussi, donner son accord – ce qui, à ma grande joie, se passa les jours suivants –, puis le dossier (mes textes accompagnés des référés des éditeurs) allait être envoyé à la Direction générale de la Presse et des Imprimés, nom pudique de la censure.
Au bout de deux ou trois mois, le manuscrit revint sur le bureau de Mircea Ciobanu. Et il n’était pas en bon état. Des poésies avaient été tout simplement supprimées, pour d’autres on demandait des modifications. (J’ai publié ici, il y a plusieurs mois, un texte sur cette infernale institution.) Des années plus tard, j’appris que les censeurs se faisaient un devoir de signaler aux « organes compétents » tout auteur dont ils avaient trouvé que les écrits ne correspondaient pas aux normes en vigueur (ou « n’étaient pas sur la ligne », selon l’expression consacrée).
Ciobanu, qui voyait de telles choses tous les jours, me conseilla d’obtempérer. Je refusai. L’avenir me paraissait se dessiner assez clairement.
À la même époque, je commençais à fréquenter ce qui s’appelait « le monde culturel » – écrivains, peintres, sculpteurs –, monde étrange, fait en partie de gens qui attendaient vainement d’être publiés ou exposés. Nous nous rencontrions dans les ateliers des plasticiens ou dans des estaminets infestés par une éternelle puanteur de mauvais tabac froid et d’alcool. Tous buvaient. Beaucoup. Je commençai à faire circuler mes manuscrits, ce qui, bien entendu, n’était pas autorisé.
Porter un nom étrange (Portocala, en roumain, signifie orange), qui est, en plus, celui d’une seule famille, constitue un désavantage de taille dans un pays où on vous a tout le temps à l’œil. Mais, d’un autre côté, les gens le retiennent immédiatement, vous connaissent et vous reconnaissent facilement. C’est une situation étrange de vous entendre dire : « Je sais qui vous êtes », alors que vous n’avez jamais rien publié. Et c’est aussi une satisfaction, qui n’est, cependant, pas dans l’ordre normal des choses. Et qui ne vaut pas celle de tenir entre ses mains un vrai livre, sentant bon l’encre neuve. (Il y a, en roumain, une expression qui me plaît et m’émeut beaucoup : on dit qu’un livre « a vu la lumière de la typographie ».)