Gabriel Nerciat
Palestiniens et Arméniens
Témoignent du fond de leur tombeau
Qu’un génocide c’est masculin
Comme un SS, un torero
La chanson de Renaud contre Margaret Thatcher – qui ne brillait pas vraiment par son intelligence dialectique – date du milieu des années 1980, et je n’arrive pas à me souvenir si elle valut à l’artiste vedette de la gauche caviar de l’époque un procès en correctionnelle pour antisémitisme intenté par le CRIF ou la LICRA et/ou hallali unanime dans les journaux assermentés de la droite conformiste (je crois que la réponse est négative, mais je n’en suis pas tout à fait sûr).
Quoi qu’il en soit, les réactions en France et en Occident à la mise en accusation d’Israël par un procureur de la CPI sont depuis hier assez édifiantes à observer.
Certains drôles, comme l’inénarrable Pascal Praud ou le jésuitique Pascal Bruckner, s’indignent de la prise de position approbatrice du quai d’Orsay et de l’Elysée, mais à vrai dire elles n’ont rien de très surprenant : à partir du moment où, via l’UE, la France a ratifié la charte des gnomes de La Haye, il est évident que ses représentants officiels ne peuvent pas dire autre chose que ce qu’ils ont dit.
Si les deux grandes nations anglo-saxonnes ont condamné la décision du procureur international, c’est d’abord dans la mesure où elles ne reconnaissent pas (ou plus) la légitimité de ce machin, qui s’est déjà couvert de ridicule ou d’ignominie dans les procès intentés contre les présidents Milosevic et Gbagbo.
Bon courage donc à l’andouille dominicaine Bellamy et à l’apparatchik otanien Glucksmann Junior pour condamner l’instance de La Haye tout en tressant des lauriers à l’institution supranationale de Bruxelles (la seule source de pouvoir qui se reconnaisse vraiment en elle).
Mais le plus intéressant, je trouve, c’est ce dont Israël en Occident est devenu le nom.
Pendant longtemps, l’Europe, notamment dans les milieux républicains ou libéraux, a assis sa prétention à incarner l’Universel dans un discours assez hégélien, où à travers le Concept du Droit (des peuples et des citoyens) le règne autoproclamé de la Raison vespérale prétendait justifier le dépassement de toutes les négativités en lutte pour la reconnaissance contractuelle et réciproque des consciences individuelles et civiques.
C’est d’ailleurs au nom de l’opposition à cette philosophie et cette conception de la justice qu’en partie les sionistes ont rompu il y a un peu plus d’un siècle leurs liens personnels avec l’Europe, pour désirer fonder un Etat-nation de nom juif en Terre sainte (rappelons que le sionisme est né dans les années 1890, à l’époque des empires coloniaux européens et de l’empire ottoman, et non en 1942) : l’assimilation civique promise par les régimes républicains du Vieux Continent ne leur semblait en effet pas suffisante pour assurer leur sécurité et mener à bien l’aggiornamento moderniste de la religion de leurs pères.
Sauf qu’aujourd’hui l’Europe fonctionnaliste et post-nationale n’est plus vraiment l’Europe, et l’Etat sioniste de moins en moins juif en réalité (mais de plus en plus sûrement anglo-saxon, comme le confirment l’effondrement complet de la crédibilité militaire de Tsahal et la sanglante inefficacité de la guerre entreprise contre le Hamas à Gaza depuis huit mois).
En Europe, par une énième ruse de la raison que les hégéliens n’avaient pas plus prévue que les sionistes, c’est l’éthique poisseuse de Levinas et des siens (l’avènement de la Justice dans le visage de l’Autre, l’éloge inconditionnel des minorités diasporiques, la condamnation absolue du Logos et du discours universel de la Science au nom de la transcendance mosaïque de la Loi) qui a offert aux juristes et aux clercs européens une éthique supranationale de substitution.
Celle-là même au nom de laquelle Israël est aujourd’hui sommé de comparaître devant les juges de La Haye (Bibi Netanayahou et Yoav Gallant ne sont pas inculpés de génocide, comme le brament les islamo-gauchistes, mais de crimes de guerre – ce qui est bien le moins qu’on puisse leur intenter dans un cadre légal de cette nature).
Et il est assez drôle de voir ou d’entendre les sionistes libéraux de toujours (Finkie, BHL, Bensoussan, Milner, Causeur, etc.) utiliser en riposte la vieille rhétorique communiste qu’ils ont combattue toute leur vie.
A savoir : on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs ; que vaut la vie de quelques milliers d’enfants arabes (d’ailleurs, c’est 8000 et pas 15000, croient utile de préciser les fats) face à une organisation barbare comme le Hamas ; Churchill a bien fait la même chose à Dresde et en Afrique du Sud, etc.
Autant de munitions dont se serviront les milieux woke, sur les deux rives de l’Atlantique, pour les retourner contre eux.
Dans ce renversement des masques et des rôles, il y a une dimension à la fois comique et fatale qui se joue, et quelque chose me dit qu’en la matière nous n’avons encore rien vu. 21/5/2024
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