Maxime Tandonnet
30/4/2024 - [Ci-dessous une tribune demandée par le JDD sur l’idée « d’union des droites », sur une base historique. Le papier fait réagir, plutôt négativement : ce que j’ai essayé de montrer, c’est que le redressement du pays ne saurait provenir que des Français eux-mêmes et sûrement pas de magouilles entre les partis politiques actuels dans un contexte immensément volatil où dominent l’incrédulité et l’écœurement – en tout cas bien plus incertain que le message exprimé par les sondages.]
Une photographie montrant M. Bardella, Mme Maréchal et M. Bellamy sur une même scène des « Eveilleurs » alimente la rumeur d’une possible « union des droites » ou alliance électorale entre le RN, Reconquête et les Républicains. En additionnant leurs forces et les suffrages tels qu’annoncés par les sondages, une coalition de ces trois partis dépasserait les 40%. Ainsi, l’union des droites seraient-elle la recette « magique » d’un retour de la droite au pouvoir en 2027, après quinze ans de pouvoir socialiste y compris sous sa version macroniste ?
Et d’abord, « l’union des droites » a-t-elle jamais fonctionné dans l’histoire récente ? Sans doute faut-il remonter à la célèbre classification des trois droites françaises conçue par René Rémond : conservatrice et catholique ou légitimiste ; bonapartiste ou nationaliste, étatiste et centralisatrice ; et enfin orléaniste, libérale, décentralisatrice et pro-européenne. Ces critères sont toujours en toile de fond de l’histoire des droites en France, malgré des nuances et des frontières parfois mouvantes. Pendant la Ve République, ils se retrouvent plus ou moins à travers le clivage entre un courant gaulliste ou néo-gaulliste, groupant la droite conservatrice et étatiste (produit de la fusion des deux premières de René Rémond) et le mouvement giscardien, ou issu du giscardisme, libéral aussi bien sur le plan économique que sociétal et pro-européen.
Les succès électoraux de la droite, aux présidentielles comme aux législatives, ont toujours eu pour source l’union électorale de ces deux droites, néo-gaulliste et libérale. Elle a remporté les élections législatives de 1973, 1978, 1986, par exemple, dans le cadre d’accords électoraux. Elle a gagné les présidentielles quand elle s’est retrouvée, au premier tour, ou le cas échéant, au second tour, derrière un candidat unique : 1969, 1974, 1995 et 2007. En revanche, elle s’est effondrée quand elle était divisée, à l’image de 1981.
Faut-il déduire de ces précédents qu’une union des droites d’un nouveau genre entre LR, le RN et Reconquête, permise notamment par la « dédiabolisation » du RN, serait la voie royale d’un retour au pouvoir ? L’analogie avec les heures de gloire de la droite rassemblée vient spontanément à l’esprit. Le parti de Mme le Pen, puissant dans les sondages, semble revendiquer aujourd’hui les idées qui furent jadis portées par le courant néo-gaulliste : centralisme, nationalisme, étatisme. Les Républicains, faibles dans les sondages mais forts de leur ancrage local, reprennent quant à eux l’antienne libérale notamment sur le plan économique ou européen. Alors, n’est-il pas temps d’allier nationalistes/étatistes et libéraux pour réapprendre à gagner ? Beaucoup de militants des deux camps le réclament.
De fait, cette hypothèse, fondée sur la transposition aujourd’hui de schémas de jadis paraît à la fois irréaliste et illusoire. Elle ignore le bouleversement, intervenu notamment depuis les années 2010 mais surtout 2017, de la nature même de la vie politique. Les débats d’idées ou affrontements de projets de société, à l’image des élections de 1974, 1981 et même 2007, malgré ce qu’ils pouvaient avoir de superficiel, ont quasiment disparu. La vie politique est devenue un spectacle médiatique – une sorte de Grand-Guignol – autour de quelques gourous. Son objectif essentiel n’est plus de convaincre par des arguments mais de séduire par des bons mots, des mimiques et des coups de communication. Aujourd’hui, qui a la moindre idée des différences de programme entre les partis politiques ? Non qu’elles soient inexistantes, mais elles s’effacent derrière la logique de séduction. Dès lors, le temps des alliances dans l’objectif de transcender des différences pour faire triompher un projet – puisque les projets ont quasiment disparu – est révolu.
L’émotionnel a remplacé la réflexion sur l’avenir. Les passions de haine ou d’adoration d’un leader se sont substituées à la notion de confiance ou de bien commun. L’affectif a pris la place de l’engagement. Dès lors, comment s’allier avec des personnes qu’on déteste ou qu’on méprise ? La politique se limite désormais, pour l’essentiel à l’allégeance/soumission à un gourou. La supposée « union des droites » telle que certains la rêvent, reviendrait tout simplement, pour ce qu’il reste de la droite LR, à s’agenouiller devant Mme le Pen.
De plus, ce grand spectacle éthéré (hors sol), se déroule sur fond d’incrédulité et d’indifférence des Français envers la chose publique. Les législatives de 2022 ont donné lieu à un taux d’abstention de 54% (record absolu). 53 % des Français se désintéressent de l’élection européenne. 80% d’entre eux, selon le sondage CEVIPOF sur la « confiance », ont une image défavorable de la politique. Alors, une prétendue « union des droites » (coalition LR/RN/R) serait perçue dans l’opinion comme une magouille politicienne à grande échelle, une de plus. L’image de la droite LR est aujourd’hui minée par la défection de plusieurs de ses principaux leaders qui ont rallié la « macronie » – par opportunisme. Un arrangement de ce qu’il reste de la droite LR avec le parti de Mme le Pen ou celui de M. Zemmour, achèverait de plonger ce mouvement dans le discrédit, se traduirait par sa vassalisation et sans doute, sa disparition.
En outre, une manœuvre de ce genre ne garantit même pas une victoire électorale. Certes il est plus ou moins acquis dans les nombreux commentaires de presse, que l’œuvre de « dédiabolisation » de Mme le Pen est une réussite. Pour autant, son personnage comme son parti, demeurent extrêmement clivants dans le pays et rien n’assure, loin de là, qu’ils soient vraiment en mesure de réunir en 2027 les suffrages de 50% de l’électorat lors d’un second tour.
L’idée ou le projet « d’union des droites » tel qu’il est entendu aujourd’hui relève d’une approche à courte vue. Plus encore qu’en 2017, les élections nationales de 2027 s’annoncent comme explosives. Une quasi-certitude : le macronisme est condamné à la disparition en raison de son impopularité et l’interdiction constitutionnelle d’un troisième mandat consécutif. Dans un contexte politique infiniment volatil, impalpable, imprévisible, soumis au maelström des émotions collectives et des manipulations, de nouvelles passions et de nouveaux visages vont émerger (à l’image de ces élections européennes). Les cartes seront rebattues. Le RN qui a tant prospéré comme opposant attitré du macronisme pourrait connaître un revers de fortune du fait de la disparition de celui-ci, et subir à son tour un effet de lassitude. Les frontières partisanes seront de nouveau chamboulées comme en 2017, mais peut-être encore plus violemment.
En 2027, les Français auront le sentiment de sortir d’un tunnel de quinze années dominées par une forme d’esbroufe narcissique comme masque d’un effondrement économique et financier, sécuritaire, social, diplomatique, scolaire et intellectuel… Le gagnant, celui qui parviendra à émerger de ce chaos, par-delà les clivages, pourrait être alors celui qui saura le mieux tourner la page, s’imposer comme l’anti-Jupiter, susceptible d’incarner l’achèvement de cette période délétère et l’entrée dans une ère politique différente. Comment ? En tendant une main de réconciliation au pays, fondée sur le respect intangible du peuple et l’action collective au seul service de ce dernier et du retour de la confiance. C’est alors que la vaste majorité de ceux qui aiment la France, d’où qu’ils viennent, pourrait s’unir en dehors des anciens clivages, sans illusion excessive ou naïveté mais avec détermination.