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20 mai 2024

"Pfizergate" et SMS : tout comprendre à l’affaire qui menace Ursula von der Leyen

Thomas Ribaud / Marianne

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En avril 2021, New York Times révélait que la présidente de la Commission européenne avait négocié directement par SMS avec Albert Bourla, le patron de Pfizer, un contrat de 1,8 milliard de doses de vaccin contre le Covid durant la pandémie. Ritzau Scanpix / AFP

17/5/2024 - En avril 2021, le New York Times révélait que la présidente de la Commission européenne avait négocié directement par SMS avec Albert Bourla, le patron de Pfizer, un contrat de 1,8 milliard de doses de vaccin contre le Covid, durant la pandémie. Ce vendredi 17 mai, une première audience s'est tenue au Tribunal de Liège.

Voilà qui fait tache, à seulement trois semaines de briguer un nouveau mandat de présidente de la Commission européenne. Ce vendredi 17 mai, le Tribunal de Liège a tenu une audience au cours de laquelle devait notamment être déterminé qui de la justice belge ou du Parquet européen (EPPO) est compétent pour poursuivre l’instruction de la plainte déposée contre Ursula von der Leyen, dans le cadre du « Pfizergate ». Explications.

LES FAITS REPROCHÉS

En avril 2021, le New York Times révélait que la présidente de la Commission européenne avait négocié directement par SMS avec Albert Bourla, le patron de Pfizer, un contrat de 1,8 milliard de doses de vaccin contre le Covid, pour la modique somme de 36 milliards d’euros. Si ces accusations s’avèrent véridiques, Ursula von der Leyen aurait négocié un contrat d’achat de vaccins en dehors de toute règle commerciale européenne.

Le 27 mars dernier, la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides, a profité d’une discussion devant la commission spéciale du Parlement européen sur la pandémie de Covid-19 (COVI) pour voler au secours de sa cheffe, insistant sur le fait que cette dernière n’avait joué aucun rôle dans la négociation des contrats de vaccins Covid.

Le hic, c’est qu’Albert Bourla, le patron de Pfizer, ne semble pas donner du sien pour affaiblir les accusations en conflit d’intérêts. Il n’a pas hésité à raconter dans un livre qu’il avait noué une « relation étroite avec [Ursula von der Leyen] par le biais de SMS et d’appels téléphoniques » à partir de janvier 2021.


UN SILENCE QUI POSE QUESTION

Depuis les révélations du New York Times, nombre d’entités ont demandé à la présidente de la Commission européenne de rendre public ces échanges de SMS. Les membres de la Commission Covid de l’UE, la médiatrice de l’Union européenne (l’UE) Emily O'Reilly, le parquet européen et la Cour des comptes européenne se sont tous heurtés à une fin de non-recevoir.

En février 2023, le New York Times a lui-même saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) afin d’obtenir la divulgation des SMS en question, après que leur demande d’accès aux documents a été refusée. La CJUE a alors déposé une plainte administrative contre la Commission européenne, qui a toujours refusé de révéler le contenu des SMS, et même de confirmer leur existence. « Tout ce qui était nécessaire à ce sujet a été dit et échangé. Et nous attendrons les résultats », a expliqué Ursula von der Leyen.

En effet, si jamais des SMS ont permis de négocier des transactions financières impliquant l’Union européenne, ces derniers deviennent des documents administratifs au sens du droit. Se refusant à les dévoiler, Ursula von der Leyen porterait atteinte aux droits consacrés dans la constitution européenne. Dans le cas où elle les aurait supprimés, cela constituerait une destruction de documents administratifs.

UNE PLAINTE DÉPOSÉE PAR UN LOBBYISTE

En avril 2023, le lobbyiste belge spécialisé dans les relations commerciales Chine-UE Frédéric Baldan a déposé plainte contre Ursula von der Leyen auprès d’un juge de Liège, pour « prise illégale d’intérêts et corruption », « usurpation de fonctions et de titre » et « destruction de documents publics ». Il estime subir un préjudice moral constitué par « la perte de confiance dans l’Union comme puissance de réalisation du bien commun ».


Surtout, il juge que les finances publiques de la Belgique auraient été lésées par les négociations d’Ursula von der Leyen avec Pfizer. Il souligne que, d’après les données de l’Institut de santé publique Sciensano, fin 2022, parmi les 40,4 millions de doses de vaccins contre le Covid-19 reçues par la Belgique, 27,9 millions ont été achetées à Pfizer. Le lobbyiste belge y voit un privilège octroyé au géant américain de la pharmacie. Il se trouve que le média Politico a annoncé que fin 2023, au moins 4 milliards d’euros de doses avaient été gaspillés. Le contrat liant l’Union européenne à Pfizer a ainsi dû être renégocié.

Frédéric Baldan s’est constitué par la même occasion partie civile, réclamant 50 000 euros pour son préjudice moral. Il espère que le juge d’instruction liégeois soit « en mesure de réquisitionner les SMS et pas seulement de les demander ». Ce dernier considère que si l’ancienne ministre allemande et le patron de Pfizer invoquent la nature privée de ces échanges, cela révélerait un conflit d’intérêts grave, dans le cadre de la vente de vaccins à l’Union européenne.

Des associations, partis politiques, citoyens et même des pays européens, la Hongrie de Viktor Orbán et la Pologne, à l’époque gouvernée par les ultraconservateurs du PiS, se sont joints à la plainte de Frédéric Baldan.

LES ENJEUX JURIDIQUES DERRIÈRE CETTE PREMIÈRE AUDIENCE

Le Tribunal belge devait notamment déterminer, ce 17 mai, s’il revient à la justice belge de poursuivre l’instruction de la plainte déposée, ou si c’est au Parquet européen (EPPO) de se pencher sur ce « Pfizergate ». L’EPPO s’est saisi de la plainte belge et a présenté son réquisitoire à Liège. L’organisme traite notamment des affaires revêtant une dimension transnationale ou qui concerne le budget de l’UE. Mais, de son côté, le juge d’instruction belge souhaiterait poursuivre son enquête. Le Tribunal de Liège a décidé de remettre le dossier au 6 décembre prochain, notamment dans le but de laisser aux parties le temps de se prononcer sur la compétence du parquet européen en la matière.


En attendant, le média en ligne Blast a révélé en septembre 2023 que Frédéric Baldan a vu son accréditation de lobbyiste professionnel lui être retirée, en juin de la même année, par un registre de la transparence de l’Union européenne, qui dépend de l’autorité… d’Ursula von der Leyen.