Maxime Tandonnet
29/5/2024 - 500 000 : c’est l’audimat moyen du débat collectif du 27 mai sur BFMTV, dans le cadre de la campagne des élections européennes ; soit, environ, un électeur français inscrit sur cent. Et combien de téléspectateurs ont-ils tenu trois heures et dix minutes devant un spectacle aux accents de cour de récréation, à l’image de M. Glucksman demandant à la candidate des Insoumis de « lui lâcher les baskets » ? C’est dire si les échanges entre les huit têtes de liste ne peuvent avoir qu’une influence marginale sur les sondages et sur le résultat du scrutin. D’ailleurs, ce débat se présentait comme un fidèle reflet d’une vie politique française dominée par la déconnexion envers le pays profond.
M. Bardella était la cible de la plupart des candidats, fréquemment pris à partie par les quatre partis de gauche représentés et par Mme Valérie Hayer. La formule maudite « extrême droite » revenait comme un Leitmotiv et même la sempiternelle accusation de « pétainisme » de la part du candidat communiste ou « d’absence de toute humanité » de la part d’une autre tête de liste… Résultat : d’après un dernier sondage, M. Bardella progresse encore à 34% !
En effet, dans un climat de défiance populaire envers le monde politique, se déchaîner collectivement sur un individu, au point de le placer en position de paria, revient à lui offrir un avantage inespéré. Le président du RN ne propose rien de plus que les autres qui soit de nature à lui valoir une telle réussite sondagière. Cependant, une partie de l’écœurement populaire s’identifie à son image. Sur elle se cristallise, par un effet de psychologie des foules, la réaction d’une frange importante de la France profonde au sentiment de déclassement et de mépris envers elle de la classe dirigeante.
Plus ils cognent sur le RN, plus ils le font monter. Le débat précédent, entre M. Attal et M. Bardella, a une fois de plus illustré ce phénomène. Donné perdant (sinon écrasé) par la plupart des experts et « politistes », le président du RN était considéré comme plutôt gagnant par l’opinion publique, selon divers sondages. Que les responsables politiques ne voient pas ce phénomène d’identification populaire au paria est un signe patent de déconnexion ou d’aveuglement. Car ces élections du Parlement européen constituent avant tout un défouloir. Elles rejouent en 2024, dans les urnes, la crise des Gilets jaunes. La force de la liste RN ne tient pas à un projet ni à des idées (lesquelles ?), ni aux personnalités qui l’animent. Sa force tient à son statut de pestiféré qui lui permet d’incarner, mieux que les autres, le rejet populaire du pouvoir actuel.
Ce contexte explique aussi le naufrage de Mme Valérie Hayer, qui n’est sûrement pas moins compétente que la moyenne des autres candidats… Elle se trouve à contre-courant d’un puissant mouvement populaire d’hostilité envers le pouvoir en place et les hommes qui l’incarnent. Déstabilisée quand l’un des animateurs a sollicité son avis sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine, elle s’est contentée de répondre « je ne suis pas experte de ce sujet ». Cette réponse quasi suicidaire est révélatrice d’un profond malaise, sans doute amplifié par l’initiative sans succès de M. Attal se substituant à elle pour débattre contre M. Bardella ou les déclarations transgressives d’un chef de l’Etat – en principe au-dessus de la mêlée politicienne en tant que président de tous les Français – désireux de descendre dans l’arène et d’en découdre à sa place contre le RN.
Dans ce contexte, les approximations et les absurdités se perdaient dans la tourmente, à l’image de cette candidate proposant une nationalisation européenne de la compagnie Total… Mais en outre, les velléités d’élever le débat en parlant du fond des dossiers ne suffisent pas à modifier le cours d’un fleuve en colère. M. Bellamy, une fois encore, a montré – sans invective ni attaque personnelle – sa maîtrise des questions européennes, par exemple sur le pacte européen pour l’immigration ou l’interdiction des véhicules thermiques. Quelques jours auparavant il avait crevé l’écran en suscitant un large consensus autour de lui par sa dénonciation vigoureuse du débat entre M. Attal et M. Bardella, jugé anti-démocratique (dès lors que privilégiant un seul candidat). Or, les sondages n’enregistrent guère d’effet de son excellente campagne comme de son coup d’éclat. L’actuelle malédiction qui frappe l’étiquette « droite LR » est la clé de ce paradoxe. Elle tient largement au soupçon populaire de connivence avec la majorité au pouvoir, résultat des positions prises par ce parti, notamment pendant la crise sanitaire et sur la réforme des retraites.
Alors, les élections européennes 2024, comme défouloirs, seront vite oubliées, notamment quand viendront les municipales deux ans plus tard. Toutefois, les responsables politiques de tout bord, et plus particulièrement de la droite LR, pourraient en tirer quelques leçons essentielles pour l’avenir de leur courant politique.