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23 juin 2024

PORTRAIT DE MÉLENCHON EN DUC D'OTRANTE

Gabriel Nerciat


22/6/2024 - Je crois que je commence à comprendre vraiment le rôle que Mélenchon, dans sa stratégie de domination du bloc de gauche parlementaire entamée en 2017, assigne aujourd'hui à l'antijudaïsme obsessionnel et à l'islamo-gauchisme décolonial.
Il ne s'agit pas seulement de mobiliser l'électorat musulman et allogène des banlieues proches des grandes métropoles du Nord et du Sud de la France en faveur de ses candidats et de son parti.
Même s'il s'agit évidemment là de l'aspect le plus visible et le plus directement utilitaire de l'opération, qu'on a cent fois commenté.
Car son attitude des dernières semaines, accentuée par la soudaineté de la dissolution, révèle, il me semble, un autre dessein - qui n'est évidemment pas contradictoire avec le premier.
Je le résumerais ainsi : se servir de la question juive (ou sioniste, comme on voudra), jadis fédératrice de toutes les gauches au moins depuis l'Affaire Dreyfus, pour rendre impossible une tactique de désistement réciproque au second tour des législatives entre ses concurrents du Nouveau Front Populaire, à lui imposé par son rival François Ruffin avec la complicité indirecte de François Hollande, et ce qui restera des candidats macroniens encore en mesure de se maintenir au soir du premier tour.
Car Mélenchon a peut-être tous les défauts du monde, mais il faut lui reconnaître au moins deux atouts incontestables : c'est un tacticien assez brillant pour tout ce qui regarde la science des combinaisons politiciennes (tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir comme initiateurs politiques Pierre Lambert et François Mitterrand), et c'est aussi l'un des derniers hommes politiques français détenteurs d'une réelle érudition historique.
Il sait très bien que la référence au Front populaire de 1936 n'est pas seulement nostalgique ou incantatoire : elle élabore un imaginaire politique qui fait signe dans le sens d'une alliance électorale entre des partis révolutionnaires, sociaux-démocrates et bourgeois au nom de la résistance au fascisme et à l'antisémitisme (raison pour laquelle il n'a pas hésité à profaner la mémoire de Léon Blum dans un tweet apparemment grotesque le comparant défavorablement à ses propres lieutenants parlementaires, mais qui dans son esprit n'a rien de ridicule ou de provocateur car il sert surtout à envoyer à ses rivaux, Ruffin et Sandrine Rousseau au premier chef, un message extrêmement précis).
Le sous-texte est le suivant : si vous cherchez, pour me déstabiliser ou m'abattre, à ressusciter le front républicain de 1936 en accord avec le bloc déliquescent de l'extrême-centre bourgeois et mes vieux ennemis sociaux-démocrates de toujours, je n'hésiterai pas à mobiliser explicitement l'antisémitisme et l'antisionisme des banlieues et des facs gauchistes pour le désactiver ou le neutraliser radicalement entre les deux tours.
Même si l'opération n'est pas très ragoûtante et utilise assez cyniquement la peur des meurtres ou des agressions dont des Juifs en France peuvent désormais être victimes à peu près n'importe où, il faut reconnaître que c'est assez bien conçu.
En quelques jours, il a déjà humilié et tué Glucksmann, Corbière et Garrido ; je gage qu'il va en faire autant, dès le 30 juin au soir, avec Ruffin, Clémentine Autain, Sandrine Rousseau et François Hollande.
Finalement, c'est peut-être moins à Robespierre ou à Doriot qu'il ressemble qu'à Fouché, celui de Thermidor comme celui du souper de Brisville.
Le titre de duc d'Otrante d'ailleurs lui irait assez bien.