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3 juin 2024

Réflexion sur l’extrémisme et « l’arc républicain »

Maxime Tandonnet


2/6/2024 - L’un des piliers du fonctionnement de la vie politique française est la croyance dans le clivage entre l’arc républicain et les extrémismes de droite et de gauche. Les hommes et partis de l’arc républicain seraient dans le bien qui autorise à gouverner et les extrémismes incarneraient l’inacceptable qui doit être chassé et condamné à tout prix. Cette vision qui domine la pensée politique des milieux dirigeants et influents relève du dogme, ou de l’argument d’autorité. Or, elle ne fonctionne pas (ou plus) dans l’opinion. Les politiques et les éditorialistes peuvent marteler « extrême droite », cela ne suffit plus à marginaliser les mouvements dits d’extrême droite. C’est pourquoi il est urgent de discuter cette notion, y réfléchir.

L’erreur de notre époque est en effet de tracer une limite étanche ou cordon sanitaire entre l’extrémisme et l’arc républicain. Elle raisonne de manière manichéenne: ici le « bien » républicain, de l’autre côté le mal extrémiste. Ainsi, les termes d’extrémisme ou d’extrême droite deviennent des étiquettes maudites qu’on appose pour désigner l’ennemi ou l’insulter, sans s’interroger sur leur contenu. En vérité l’extrémisme, l’extrême droitisme notamment existent bel et bien, mais sous une forme dégradée, diffuse, qui ne souffre pas de fracture claire avec le supposé arc républicain. Par delà les époques, quels sont les points communs qui se retrouvent généralement dans la notion d’extrémisme, de parti extrémiste ou de politique extrémiste ?

- Le culte du chef : pour l’extrémisme, l’autorité vient d’en haut, du chef, elle est verticale, jupitérienne, contrairement au démocrate ou libéral pour qui l’autorité vient de la base, de la nation, et s’exerce par l’intermédiaire de son représentant qui n’est qu’un serviteur du pays et non un chef ou un maître ;
- Le mépris du peuple sous n’importe quelle forme, se moquer de lui avec l’idée qu’il faut lui imposer des normes sans lui demander son avis et sans écouter ce qu’il a à vous dire, qu’on peut faire son bien malgré lui ;
- L’anti intellectualisme, est aussi une constante de l’extrémisme, le mépris de la littérature, de la pensée, de la langue, de la science, des livres, de l’université, des études, de la création ;
- L’antiparlementarisme, le mépris ou marginalisation du parlement, cette idée lamentable que le bien sort d’un cerveau éclairé unique, celui du chef, et non du dialogue et de l’échange entre des hommes et femmes ;
- La mise en cause des libertés publiques et individuelles, la liberté d’expression, celle de se déplacer librement, de se réunir, d’écrire et de penser quelles que soient les prétextes invoquées pour cette mise en cause (sécurité, écologisme, sanitaire, etc.)
- Le culte de la personnalité sous toutes ses formes : l’omniprésence médiatique, les portraits partout, la courtisanerie, le népotisme, et l’obséquiosité autour d’une idole ou d’un gourou ;
- La quête du bouc émissaire se retrouve dans tous les extrémismes: il faut un coupable des maux de la société, qui peut être désigné pour des raisons ethniques mais aussi médicales ou sociales, généralement le différent, le marginal, c’est-à-dire le pestiféré ou le galeux ;
- La pensée unique : il n’y a qu’une seule voie qui vaille vers le bien commun et fait office de religion (le socialisme, le communisme, la pureté raciale ou religieuse, la loi des marchés, écologisme, le nationalisme, l’européisme ou l’antieuropéisme, etc.) tout le reste n’étant pas à discuter mais à combattre et éliminer.
- La négation du réel, la propagande et l’idéologie autour d’un récit éloigné de la réalité, des projets inapplicables dans la réalité ou qui conduisent au désastre par absence de réalisme.
- Le goût de la violence pour imposer ses vues, qu’elle soit verbale, polémique, haineuse, ou physique, de préférence au débat et au vote démocratique.

Ainsi l’extrémisme se définit non par une frontière étanche, mais par un faisceau d’indices comme disent les juristes. Un ou deux parmi ces paramètres ne suffisent sans doute pas à le qualifier à coup sûr. Tout dépend aussi de l’intensité avec laquelle ces paramètres se traduisent dans la réalité. Mais la réunion de plusieurs d’entre eux est à coup sûr un indice qui permet de suspecter la tentation extrémiste. Sur la base de ces critères, un courant politique peut s’offrir des airs de sainte-nitouche prétendument républicaines, vitupérer contre l’extrémisme, se définir comme étant au cœur de l’arc républicain et verser lui-même dans l’extrémisme de la pire engeance sans même s’en rendre compte. Cela s’appelle l’extrémisme du centre. Enfin, c’est bien évident : les extrémismes de droite comme de gauche et même du centre, ne sont pas équivalents en apparence, mais au fond, ils se ressemblent comme des frères ennemis.