(pour Figaro Vox le 09/06/2024)
Dans l’histoire de la Ve République, trois dissolutions se sont produites en cours de mandat présidentiel (c’est-à-dire en dehors du cas d’un président de la République tout juste élu pour se donner une majorité). Deux ont bien réussi au chef de l’Etat. La première fut celle du général de Gaulle en 1962, à la suite d’une motion de censure votée contre le premier gouvernement Pompidou : elle se traduisit par l’obtention d’une large majorité. L’autre, décidée le 30 mai 1968, mit fin aux troubles révolutionnaires et déboucha sur un raz-de-marée gaulliste. La troisième en revanche, fut catastrophique pour le président de la République, Jacques Chirac, au début de l’année 1997 : destinée à conforter une majorité pourtant solide et à relancer son septennat sur des bases nouvelles après un hiver chahuté, elle avait entraîné, contre toute attente, une victoire de l’opposition de gauche.
Dans les deux premiers cas, ceux du général de Gaulle, la dissolution était justifiée par une crise politique, puis un mouvement insurrectionnel. Dans le troisième, celui de Jacques Chirac, rien ne l’imposait et elle se présentait comme un coup politique, que les électeurs ont sanctionné.
La dissolution décidée le 9 juin 2024 par le président Macron est un véritable coup de tonnerre… Rien ne l’imposait dans l’immédiat : aucune motion de censure n’a été votée au préalable, comme en 1962 et le pays ne se trouve pas en état d’insurrection et de blocage total comme en mai 1968. Certes le fonctionnement de l’Assemblée nationale est chaotique mais avec des majorités de circonstance, l’appui tantôt de la gauche, tantôt de la droite y compris du Rassemblement national, plusieurs réformes emblématiques du macronisme ont été votées, par exemple sur la « transition climatique », l’immigration ou les retraites, et même l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Le système de gouvernement n’est aucunement bloqué.
Par ailleurs, le vote du 9 juin, certes désastreux pour la majorité, concerne le seul Parlement européen. Il n’a en soi strictement aucune incidence sur le fonctionnement des institutions politiques nationales. Dans l’histoire contemporaine, d’autres majorités ont subi de cinglants désaveux aux élections intermédiaires (européennes ou territoriales) sans jamais déclencher la foudre présidentielle de l’article 12. Le président Macron a donc créé un précédent : celui d’une dissolution en réponse, le jour même, à une élection intermédiaire perdue.
Cette dissolution est particulièrement surprenante par la date à laquelle elle intervient : la veille des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, qui sont un événement phare dans la vie politique nationale notamment pour des questions de prestige international et de sécurité. Les autorités gouvernementales qui ont la charge de sa préparation depuis des mois ou des années, ne sont plus assurées de pouvoir poursuivre leur tâche jusqu’à son terme.
Alors pourquoi un tel coup de théâtre ? Il est en réalité assez conforme à la politique d’un chef de l’Etat qui annonçait lui-même en 2017, après son élection, que sa victoire reflétait « le goût des Français pour le romanesque ». Le sens de cette décision est celui d’un choix d’image personnelle. Le sensationnel doit effacer l’humiliation que représentent la débâcle de la liste Renaissance et le triomphe du Rassemblement national malgré l’investissement personnel du président et de son premier ministre. La mise en scène à connotation gaullienne a pour objectif de montrer le président de la République en homme de décision et prince de l’audace dans la tempête, et couvrir ainsi l’échec des européennes.
Cette dissolution est le signe d’une confiance en lui-même poussée à son paroxysme. Le chef de l’Etat compte sans doute prendre la tête d’un front républicain contre « l’extrême droite ». Il entend probablement former une coalition avec la droite LR et le parti socialiste pour réinventer un macronisme d’unité nationale « contre les extrêmes ». Il pense aussi que les Français, pris à la gorge par ce scrutin législatif dans un calendrier aussi précipité, ne prendront pas le risque de l’aventure dite « extrémiste » à la veille des JO de Paris.
Le pari se heurte à trois incertitudes : premièrement, le président a-t-il bien pris toute la mesure de l’impopularité de sa politique et du niveau de dégradation de son image dans l’opinion ? Deuxièmement, la droite LR comme les socialistes prendront-ils le risque (suicidaire) d’une entente électorale autour d’une équipe aussi impopulaire ? Troisièmement, toute la tradition historique française, depuis Mac Mahon en 1877 jusqu’à Jacques Chirac en 1997, souligne que les électeurs sanctionnent les dissolutions quand elles relèvent, à leurs yeux, de coups politiques. Devant les urnes, comment les Français vont-ils interpréter cette opération ?
En attendant, cette dissolution semble ouvrir une porte fatale vers l’inconnu. Que se passe-t-il si le RN remporte une majorité absolue ? Le président est-il prêt à gouverner avec un Premier ministre de ce parti ? Et quel gouvernement si l’Assemblée nationale ressort de ces élections encore plus fragmentée qu’auparavant ? La France se prépare-t-elle à plonger, au pire moment, dans un chaos politique absolu ?