Translate

17 juin 2024

Sur les manifestations « anti extrême droite » de samedi

Maxime Tandonnet

(pour Atlantico avec M. Aurélien Marq)
17/6/2024


Des mobilisations en opposition à l’extrême droite se sont déroulées dans toute la France ce samedi, à l’appel de syndicats, d’associations et du Nouveau Front Populaire, l’union des partis de gauche. Quelles étaient les revendications précises des manifestants ?

Il n’y avait pas de revendication précise, en dehors de slogans en faveur des Palestiniens et de Gaza. L’objectif était de manifester contre l’arrivée possible du RN au pouvoir. L’idée était de refaire le mouvement qui avait eu lieu en mai 2002, entre le premier et le second tour des élections présidentielles, quand Jean-Marie le Pen, leader du Front national, s’était qualifié contre Jacques Chirac. Des manifestations s’étaient déroulées dans toute la France sur le thème « F comme fasciste, N comme nazi » ! Les manifestations de samedi étaient considérablement moins suivies qu’en 2002. Néanmoins, on peut parler d’une sorte d’avertissement lancé à l’électorat et destiné à faire pression sur lui : si vous portez le RN au pouvoir, nous allons mettre le feu au pays. Ce genre de chantage est à double tranchant. Il peut certes faire peur, mais surtout, il peut aboutir au résultat inverse. 250 000 manifestants sur un corps électoral de 50 millions de personnes cela fait à peine un sur 200. Ce mouvement donne le sentiment d’une infime minorité qui prétend imposer sa règle au suffrage universel. On est là dans une logique qui n’a rien de démocratique.

Que dire du déroulement de la manifestation, particulièrement dans le contexte actuel, où les rassemblements peuvent parfois devenir le théâtre de violences ?

Quelques débordements et dégradations ont été constatés par endroit mais on ne peut pas parler d’émeutes insurrectionnelles comparables aux événements de la réforme des retraites, en tout cas pour l’instant. En effet, les manifestants savent très bien que la poussée du RN est avant tout une réaction contre le chaos, la violence et la criminalité qui frappent le pays, la révolte des banlieues de l’an dernier, la répétition des meurtres ou viols commis par des personnes en situation irrégulière en France (« sous OQTF ») ressentis comme insupportables par l’opinion car ils dénotent l’impuissance de l’Etat à faire respecter la loi. Alors, les manifestants savent que des scènes de pillages, d’incendie, d’agressions contre la police ne peuvent que renforcer le vote RN. C’est sans doute la raison pour laquelle sauf exceptions, le mouvement d’hier ne semble pas, globalement, avoir dégénéré en termes de violences et destructions.

Dans quelle mesure les déclarations de certains membres du Front Populaire valident l’utilisation de la violence à des fins politiques comme mode d’action légitime ? Y a-t-il une forme de consensus à ce sujet chez certains individus ? On a notamment aperçu une pancarte indiquant « Un flic qui meurt = un vote RN en moins »…

Le thème du racisme et du fascisme du RN est toujours au centre du discours du nouveau front populaire (NFP), à l’image de la déclaration de M. Ruffin selon lequel « Bardella, c’est Macron plus le racisme ». A ce titre, le RN serait illégitime même en cas de victoire électorale car les valeurs antiracistes, selon l’alliance de gauche, prévalent sur la loi du suffrage universel. On a eu cette pancarte appelant au meurtre de « flics » que vous mentionnez et aussi des scènes, largement médiatisées, de discours antisionistes ou anti-Israël d’une extrême virulence. Au fond, les manifestations, en tout cas les plus importantes, notamment celle de Paris, oscillaient entre protestations contre l’arrivée au pouvoir du RN et condamnation virulente d’Israël. La parole anticoloniale et anticapitaliste était au centre des slogans. Il est certain que le ton idéologique et l’extrémisme virulent qui s’est exprimé par endroit lors de ces manifestations ne peut que relativiser celui qui est généralement prêté au RN. Et tout cela fait plutôt ses affaires…

– Au vu du contexte actuel et de l’éventuelle victoire du Rassemblement national lors des élections législatives, dans quelle mesure faut-il craindre une dégradation du contexte sécuritaire en France, notamment à l’approche des Jeux Olympiques ?

D’abord, il faut savoir quelle serait l’ampleur de la victoire du RN. En effet, s’il gagne avec une majorité absolue, il sera forcément chargé de former le gouvernement, et l’humiliation du chef de l’Etat, ayant fait de la lutte contre la « peste nationaliste » le centre de son combat, atteindra son paroxysme.

En revanche, selon le scénario beaucoup plus probable d’une majorité relative, on peut imaginer un arrangement à l’Assemblée nationale entre les survivants de Renaissance et les élus du NFP pour désigner un gouvernement à tonalité « progressiste », donc marqué nettement plus à gauche que les derniers depuis 2022. Les prémices de ce rapprochement sont déjà dans l’air. De cela, un président venu du parti socialiste, peut fort bien s’accommoder sur le plan de l’hubris, malgré le risque d’instabilité chronique et de paralysie.

Dans la première hypothèse, celle d’une majorité absolue et d’un gouvernement RN, faut-il craindre une flambée de violence qui pourrait perturber les JO ? Difficile à dire… Cette victoire agira comme un coup de massue. La gauche idéologique sera comme assommée par le choc. Ce sera le temps des commentaires… Comment en sommes-nous arrivés là… Et puis les vacances… En outre, il n’est pas évident de contester dans la rue, aussitôt après une élection, le verdict des urnes. Le chaos absolu viendra plus tard, à partir de septembre et ensuite, face aux premières mesures d’un éventuel gouvernement RN.

https://maximetandonnet.wordpress.com/2024/06/17/sur-les-manifestations-anti-extreme-droite-de-samedi-pour-atlantico-avec-m-aurelien-marq/