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28 juin 2024

UNE SEMAINE GRISANTE

Gabriel Nerciat

Je dois reconnaître que je vis depuis une semaine des moments assez doux et discrètement euphorisants, en voyant autour de moi presque tous les jours la panique et le désarroi absolus qui commencent à s'emparer de collègues ou d'amis de la bonne bourgeoisie parisienne, dont la voix, le visage et l'attitude se décomposent à la publication de chaque nouveau sondage annonçant la victoire en rase campagne du RN le 7 juillet prochain.
J'étais trop jeune en 1981 pour bien me souvenir de l'attitude des droitards rupins et des modérés d'alors.
Je me rappelle seulement d'un de mes grands-oncles par alliance, qui avait hérité quelques biens substantiels de son père ancien taulier d'une maison close à Tanger, conseillant à mon grand-père maternel lors d'un repas de famille : "Si vous avez des bijoux ou des tableaux de valeur, je peux les faire passer en Suisse avant que Mitterrand n'ait soviétisé la totalité du pays".
Des décennies plus tard, on en riait encore. D'autant plus que l'ère Mitterrand fut l'époque de la plus grande prospérité boursière pour le grand-oncle en question.
Mais là, aujourd'hui, c'est autre chose.
Je crois que je suis en train de vivre, à un très modeste niveau, l'atmosphère intellectuelle et morale qui saisit un peuple à la veille d'une révolution ou d'un changement de régime, quand on constate soudain que ceux (élites ou non) qui étaient investis depuis toujours de l'autorité de la raison, du savoir et du pouvoir de prescription au sein d'une nation l'ont intégralement perdue, sans retour ni remords.
Ni le chantage à la guerre civile, ni les menaces de banqueroute ou de crise économique, ni l'intimidation des clercs et des hauts fonctionnaires, ni les états d'âme des foutboleurs et des acteurs de cinéma, n'embraient plus sur rien.
Au contraire : comme Macron, plus ils parlent ou s'agitent, et plus le RN monte.
C'est le secret de la longévité des démocraties : pas besoin d'incendier le Palais-Royal, de pendre Fabius ou Minc en place publique, de brûler les sièges du Monde ou de Mediapart, de plastiquer les locaux de SOS Racisme ou de la LDH, d'attaquer les bastions de l'Etat et du progressisme culturel, de menacer Matignon ou l'Elysée pour dissoudre un régime semi-oligarchique qui enserrait et étouffait la nation depuis plus de trente ans.
Le Banquier Président s'en est chargé pour nous ; il n'y a plus qu'à se rendre aux urnes deux dimanches de suite.
Même si la partie ne fera que commencer, elle sera bel et bien enclenchée, et elle ira jusqu'à son terme. La "majorité morale" ne sera plus désormais qu'une minorité aux abois, de plus en plus contrainte, discréditée et apeurée.
Mes collègues et connaissances macroniens ou socialistes pour la plupart le savent bien.
D'où leur décomposition vengeresse ou hagarde qui ne cesse d'augmenter mon bonheur, surtout lorsqu'ils en viennent presque à souhaiter un soulèvement des banlieues pour confirmer leurs craintes (tout en expliquant que Mélenchon est pire que Lénine).
"Je vis dans un cauchemar qui est plus réel que tous les éléments quotidiens de la réalité", me disait l'un d'eux avant-hier. Si Bardella entre à Matignon, je vais devenir un émigré de l'intérieur et je ne m'y étais jamais préparé."
Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas cru bon ni opportun de le rassurer.