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30 juillet 2024

Faute d’union nationale envisageable, une solution de « troisième force » centrale ne réglera rien

Maxime Tandonnet

(pour Atlantico) - 30/7/2024

Invité de France 2 ce lundi matin, Gérald Darmanin a été interrogé sur l’hypothèse d’une nomination de Xavier Bertrand à Matignon. « C’est un homme politique avec une très grande compétence », a-t-il affirmé, estimant que le président LR des Hauts-de-France pourrait « servir grandement la France ». Faut-il y voir un vœu pieu de vraie fausse union nationale ?

Difficile de parler d’union nationale dans les conditions actuelles. Une entente ou accord de gouvernement entre la « droite républicaine » (sic) et Ensemble, l’ex-majorité macroniste, ne suffit pas à parler union nationale. Cette alliance n’aurait même pas la majorité absolue à l’Assemblée ! En l’absence des partis du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement nationale qui représentent plus de la moitié des suffrages, il est absurde de parler d’union nationale. Or, personne à droite LR ou du côté des macronistes n’envisage d’associer à un gouvernement le mouvement LFI, principale composante du NFP et le RN…

De fait, un projet de coalition gouvernementale entre la droite LR et Ensemble aboutirait, non à l’union nationale, mais à constituer une « troisième force » sur le modèle du début de la IVe République, de 1947 à 1951, quand les partis de gouvernements, la SFIO (socialiste) et le MRP (démocrate-chrétien) formaient une coalition centrale d’où étaient issus les différents gouvernements, harcelée à gauche par le parti communiste et à droite par le RPF du général de Gaulle. Cette stratégie est périlleuse pour l’avenir. Une « troisième force », enchaînant la droite LR aux échecs et à l’impopularité du macronisme, risque d’être vouée à l’abîme dans les trois années qui viennent, ouvrant la voie à un tête-à-tête en 2027 entre le RN et la gauche NFP. D’ailleurs, il est tout à fait possible (nonobstant l’avis des experts !) que la gauche NFP en sorte victorieuse.

Comment appréhendez-vous cette déclaration du futur-ex-patron de Beauvau ?

Avec beaucoup d’intérêt… M. Darmanin est un ancien collaborateur de M. Bertrand. Mais il est, aussi, proche du président Macron, se singularisant par une allégeance sans faille à ce dernier, à l’inverse de Bruno le Maire ou Edouard Philippe auxquels il est arrivé de revendiquer une certaine indépendance envers le chef de l’État. Depuis le début, M. Darmanin a joué la carte fusionnelle envers le titulaire de l’Élysée. Ainsi, cette phrase n’a pas dû être lâchée par hasard. Elle révèle probablement que le recours à M. Bertrand comme Premier ministre fait partie des scénarios envisagés par le pouvoir macroniste. Le président de la région Haut-de-France s’est d’ailleurs prononcé en faveur d’une solution d’accord de gouvernement pour éviter l’arrivée au pouvoir de l’un des dits « extrêmes », de LFI ou du RN.

Jusqu’à la dissolution, pourtant, il excluait cette perspective, refusant de s’engager dans la voie opportuniste des personnalités LR ayant rallié en plusieurs vagues la macronie. De fait les circonstances ont été bouleversées depuis la dissolution. La présidence de la République ne dispose même plus d’une majorité relative à l’Assemblée. La situation politique est extrêmement confuse et chaotique – et la France ingouvernable. Aujourd’hui, un Premier ministre de droite LR, comme Xavier Bertrand, aurait beau jeu de justifier sa participation par la volonté d’éviter une catastrophe que serait une France ingouvernable et incapable de voter le budget.

La droite dite républicaine a-t-elle vraiment le choix dans les circonstances ? Peut-elle se permettre de jouer la politique du pire ?

L’arrivée de la droite à Matignon, à travers Xavier Bertrand relèverait d’un pari, une opération à quitte ou double. La voie est étroite, les chances de succès sont réduites dans le contexte actuel, sans majorité absolue et dans la situation financière critique de la France. En outre, le gros des effectifs de cette majorité relative de « troisième force » serait constitué de députés macronistes qui méprisent profondément, au fond, la droite LR comme ils l’ont prouvé à de nombreuses reprises (sur l’immigration par exemple). L’échec – probable – de cet assemblage contre-nature LR-Ensemble, conduirait à l’effacement définitif de la droite et à une victoire en 2027 peut-être du RN mais beaucoup plus sûrement (selon moi), aux présidentielles et aux législatives, une victoire de la gauche réunifiée autour de LFI. En effet les législatives de 2024 ont confirmé que le RN, même donné, une fois de plus, possible vainqueur dans les sondages, finit toujours par perdre en raison de son caractère de repoussoir pour une majorité de Français et de sa faiblesse de second tour face à tout « front républicain ».

Les leaders de droite LR sont ainsi face à un dilemme, un choix cornélien : privilégier l’immédiat en entrant au gouvernement pour jouer les sauveurs face à une situation délétère, au risque d’être assimilés par l’opinion au macronisme en cours d’effondrement ; ou bien refuser toute participation et s’exposer au reproche d’irresponsabilité… De fait, de nombreux exemples historiques montrent qu’il vaut mieux parfois accepter la traversée du désert et la distanciation, plutôt que de jouer les indispensables au risque de tomber dans le piège d’une France ingouvernable et de s’y noyer. Le bon sens devrait conduire la droite LR à laisser se débrouiller ceux qui ont plongé le pays dans cette tragédie – en attendant des jours plus favorables.

Pourquoi les politiques ne perçoivent pas que stabiliser le jeu politique ne se fera jamais en ayant recours au saint-simonisme, à « l’expertise » ou à une vague « bonne » volonté mais bien à travers la nécessité de reconstruire des offres politiques cohérentes ?

Ce qui est terrifiant, dans tout cela, c’est l’oubli de l’intérêt de la France au profit des calculs individuels. En 2017 le président Macron se présentait en président « Jupiter ». Jupiter est le dieu des dieux celui qui brandit la foudre. Sa conception du pouvoir est verticale et personnalisée à l’extrême. Il ne semble pas attacher une grande importance aux partis politiques ni aux syndicats ou autres structures intermédiaires. Même les équilibres parlementaires et les gouvernements sont des considérations secondaires chez lui. L’essentiel est son rayonnement personnel en s’appuyant sur son réseau d’experts en communication. Au fond, le chaos actuel n’est sans doute pas pour lui déplaire.

Chez le président Macron, la volonté ou les inquiétudes populaires n’ont guère d’importance (à l’inverse du général de Gaulle). Dans sa vision, lui-même et ses experts forment une élite éclairée, détentrice de la vérité et chargée de faire le bien du peuple malgré lui. Dans ce schéma, les corps intermédiaires n’existent qu’au service de sa volonté et les états d’âme du peuple sont nuls et non avenus. Le chef de l’État, concevant sa mission comme celle d’un guide éclairé d’une intelligence supérieure, l’idée de reconstruire des offres politiques cohérentes est loin d’être centrale dans son esprit. Il y a un lien très fort entre la conception jupitérienne de la politique et le naufrage de la France politique dans le chaos absolu. C’est une raison supplémentaire, pour la droite LR, de ne pas cautionner ce mode de gouvernement en s’y associant … Et pour Xavier Bertrand de se tenir sur ses gardes…

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