Gabriel Nerciat
Sur la cérémonie d'hier soir, il n'y a finalement pas grand chose à dire.
Puisqu'elle a été calibrée, avec la précision d'un logiciel informatique, pour plaire aux adorateurs du monde contemporain anglophone (dont Paris est devenue l'une des banlieues occidentales) et déplaire à tous les autres.
Ne soyons donc pas aussi prévisibles que le banal Monsieur Jolly.
À ce propos, d'ailleurs, je trouve bien aimables tous ceux qui comme Philippe de Villiers ou Marion Maréchal s'indignent de la séquence sur Marie-Antoinette, chantant décapitée aux fenêtres de la Conciergerie ; car il ne s'agit même pas d'un sacrilège révolutionnaire ou surréaliste (lequel aurait dit au moins quelque chose de vaguement subjectif sur l'essence régicide de la République) ; juste une référence grotesque et attendue à l'univers faisandé des films de Tim Burton ou de Sofia Coppola.
De même que l'allusion obligée à Méliès, qui n'est jamais qu'une parodie sucrée et banale du film de Scorsese.
Idem encore sur l'Eucharistie des drag-queens et des femmes à barbe, qui aurait désespéré Bunuel, consterné Tati, effrayé Stendhal et ravi le fondateur de Luna Park.
Le tout confirmé par l'insupportable chanson de John Lennon, dont la présentatrice de la télévision d'État nous informe sans rire qu'il s'agit d'une rengaine composée contre le capitalisme et la guerre.
Ah, on en veut, nous, de la révolution avec des froufrous et des plumes dans le cul. La momie de Lénine chorégraphiée par l'héritière de Walt Disney - et filmée par le plus mauvais cinéaste qu'on ait pu trouver sur la place de Paris.
Cette cérémonie en fait m'a appris surtout une chose : la France se distingue aujourd'hui du reste du monde occidental, et notamment des pays anglo-saxons, à la fois par sa prétention de nouveau riche péniblement cosmopolite (façon de faire oublier qu'elle est aux portes de la banqueroute tout en multipliant les bateaux-mouches) et ses maladresses de larbin provincial qui ne peut plus prendre le train pour aller se griser à Londres.
Même dans le mode du wokisme, les élites culturelles françaises sont devenues de mauvais élèves ridiculement conformistes, qui n'arrivent pas à la hauteur de leurs maîtres américains.
Aya Nakamura, son sabir et son postérieur d'hippopotame, d'accord, mais seulement si elle fait semblant d'imiter Angela Davis ; pas quand elle se trémousse grotesquement au milieu des gardes républicains réduits à l'état de danseurs de cabaret.
Ou bien, peut-être qu'on peut voir les choses autrement : Paris hier soir a achevé de révéler au monde entier que le wokisme est bien le triomphe, pas même paradoxal, du capitalisme mondialisé.
Au règne des masses et des empires a prétendu succéder, à partir des années 1980-90, celui des minorités en folie et de l'individualisme décérébré, désexualisé (les trois personnages libertins de la bibliothèque, quand on les quitte derrière la porte, peuvent à peu près tout faire sauf l'amour) et déraciné qu'on a laborieusement essayé de mettre en scène hier soir. Celui qui rend impossible toute contestation un peu sérieuse du monde tel qu'il est devenu et qui ne veut pas passer (l'apologie continuelle du changement n'a pas d'autre but).
Enfin, ultime catastrophe : Céline Dion, providentiellement rendue aphone juste avant la mort de Denise Bombardier, a retrouvé sa voix.
Après, on s'étonne qu'il pleut.