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30 août 2024

ANATOMIE D'UN SUCCÈS

Gabriel Nerciat

Vu hier, plus d'un an après sa Palme d'or cannoise, le dernier film de Justine Triet, Anatomie d'une chute.
C'est ainsi : lorsqu'une œuvre cinématographique ou son auteur sont sujets à polémique, j'attends en général un certain temps avant de voir le film, afin de ne pas être trop influencé par le contexte de l'heure passée (d'autant plus que je m'étais aventuré un peu imprudemment à prendre ici même la défense de la cinéaste, face à d'exaspérants droitards macroniens, au moment de son algarade cégétiste à la cérémonie des Césars).
Résultat ?
Un film appliqué, digne d'un cinéaste scandinave de bonne facture, un peu trop bien fait si l'on veut (par "bien", j'entends avec sérieux, conscience professionnelle et un manque total de fantaisie ou d'imagination créatrice), un peu trop long aussi à mon goût, mais qui à première vue ne dépare pas des polars psychologiques courants, comme la télévision en produit chaque année des dizaines à la chaîne dans tous les pays d'Europe.
Au bout d'une heure, j'ai commencé à me demander la raison de la Palme et des récompenses en cascade dans le monde entier (le film n'a rien de racoleur mais rien de particulièrement subversif non plus). Et ai donc prudemment attendu l'épilogue.
J'ai bien fait.
Car tout bien réfléchi, je crois que j'ai trouvé la raison du succès, critique et populaire, du film.
Elle est inversement proportionnelle à l'artificialité de l'intrigue policière mise en scène (on comprend très vite que l'héroïne du film, qui n'a rien de chabrolien, n'a pas tué son mari, et que ce dernier s'est bel et bien suicidé ; le suspense relatif à l'issue du procès est donc nul).
Ce que le film veut montrer, c'est comment une femme issue de l'intelligentsia littéraire européenne et cosmopolite (il s'agit d'une romancière allemande de langue anglaise qui a vécu à Londres et s'est mariée en France) réussit, avec l'aide de son jeune fils infirme, à s'affranchir des pulsions morbides et de la jalousie mortifère de son défunt époux - raté ombrageux et caractériel qui s'avère être, par-delà sa mort et en réalité grâce à elle, le véritable et pervers meurtrier de la cellule familiale dont nous suivons le destin et les heurts.
À la fin du film, l'épouse innocentée se retrouve libre dans son chalet de montagne, figée en une position fusionnelle avec son fils aveugle, qui seul a réussi à voir (attention : grosse métaphore pour les nuls) ce que les juges et les flics ne pouvaient pas percevoir, et ainsi résoudre la fausse énigme policière qui n'était qu'un authentique poncif néo-féministe.
Cela ne vaut pas une Palme ?
Ah mais si, je veux, mon neveu !
Au royaume des cuistres aussi, ce sont bien les aveugles qui sont rois.