Julie d'Aiglemont
Chronique du vingt deuxième d'août en l'an vingt-quatre de la Grande Dissolution
On était la veille du jour où le Roy devait recevoir les chefs des Factions. Cela faisait maintenant plus de quarante jours que les Plébéiens et Plébéiennes avaient emporté le Tournoi de la Chambre Basse mais Sa Scandaleuse Surdité n'en avait eu cure. Les Olympiades avaient été une trêve bénie. "Nous qui avons vécu pendant plus de deux semaines dans un pays où on eu le sentiment que l'air était plus léger, nous n'avons point envie que la vie vulgaire reprenne ses droits" avait énoncé Notre Neigeux Escamoteur dans les jardins du Château, au lendemain de la clôture des divines Olympiades devant des courtisans et courtisanes en pâmoison. Ainsi la baronne de la Patronesse en avait-elle frissonné de contentement.
Il se disait que son nom était parmi de ceux qui se murmuraient pour occuper auprès du Roy la charge de Premier Grand Chambellan. La baronne eût tant aimé damer le pion à son compère le baron du Tranber. On avait aussi chuchoté celui du duc de la Nouvelle-Paillote, dont tout le monde ou presque avait oublié qu'il avait servi le roy Françoué dit le Flan. Il se trouvait cependant quelques Riens et Riennes pour rappeler fort opportunément qu'un brave et jeune botaniste avait vu sa vie fauchée par une grenade lancée dans son dos par un homme d'armes très zélé, au service du duc de la Nouvelle-Payotte, lui-même sous les ordres du Premier Grand Chambellan d'alors, le duc d'Evry, qu'on appelait aussi Manolo de la Valse.
D'autres noms se murmuraient encore. Les Dévôts et les Dévôtes n'en finissaient plus de farcir la tête des gazetiers afin de donner le change. Les Très-Riches - qui n'entendaient point céder un seul sou de leurs immenses fortunes - faisaient procéder à de coûteux carottages de cervelles pour faire oublier que les Riens et les Riennes avaient défait le camp du Monarc par leurs suffrages. Tout valait mieux que de prononcer le nom honni de la belle madame Fin-du-Castetus, laquelle, toute sage qu'elle était, ne s'en laissait point conter. La petite duchesse de la Gerbée alla médire d'elle dans les salons d'une Gazette sans jamais prononcer son nom. Elle ânonna avec application son bréviaire. On eût dit une piteuse cartomancienne. Elle fit une peinture apocalyptique de ce qui arriverait si par malheur madame Fin-du-Castetus formait un gouvernement où on compterait ces maudits Insoumis.
La Gazette de monsieur Plenus Mustachus narra par le menu comment le Roy et la Reyne avaient fait établir aux abords du Château une échoppe-musée. Nos Pipolesques Altesses n'entendaient point jouer en personne à la marchande - telle la Reine Marie-Antoinette s'occupant grâcieusement de quelques brebis bien toilettées. Le noble dessein était de donner à admirer aux Riens et aux Riennes comment l'on vivait au Château sous le règne de Notre Dispendieux Bibelot. Des portraits de Sa Neigeuse Altitude ornaient chaque pièce. On y vendait à prix d'or quelques menus souvenirs.
Ce fut aussi le jour où l'on apprit que le Parquet de Lutèce entendait requérir contre le comédien monsieur De Parodieux pour outrages suprêmes à l'encontre d'une femme, laquelle était connue de lui, ce dont il s'était servi pour la mettre à sa merci. Le Roy avait à quelque temps de là apporté tout son soutien à monsieur de Parodieux. N'était-il point un génie au service de la culture de notre pays ? L'hommage très appuyé du souverain avait fait grandement jaser. La chose était fort amère pour les Riennes à qui Sa Mensongère Manigance avait promis qu'on combattrait avec force toutes les violences qui leur étaient infligées quotidiennement.
Un autre histrion, fort connu lui aussi, était passé de vie à trépas. Les gazettes l'encensèrent pour sa beauté passée et les multiples rôles qu'il avait endossés, où il avait semblé pour beaucoup n'avoir été à chaque fois que lui-même. Comme il avait été fort ami avec son père, la ChatelHaine de Montretout s'empressa pour être la première à lui rendre hommage par un billet qui fut transmis à toutes les Gazettes. Le Roy en fut fort marri. Cet histrion pour lequel le peuple et les gazetiers avaient la larme abondante eût fait un formidable Premier Grand Chambellan.
Ainsi en allait-il au royaume du Grand-Cul-Par-Dessus-Tête. Le Roy était nu mais il portait perruque. Cela valait bien une couronne.
Portraitiste officielle Bridget Jaune