Maxime Tandonnet
17/8/2024 - Régime politique ne signifie pas Constitution ni institutions mais la manière dont elles sont mises en œuvre. Le fond du problème tient au mot de responsabilité. Toute démocratie implique une responsabilité : le décideur, quel qu’il soit, doit faire face personnellement et directement aux conséquences de sa décision. Sinon, l’équilibre sur lequel repose toute démocratie est rompu. En l’absence de responsabilité, la démocratie disparaît et se transforme en tyrannie ou en dictature – même invisible, même non dite.
Le régime politique actuel de la France est, de fait, présidentiel : tout l’exercice du pouvoir politique, quelle que soit son efficacité, et toute l’attention autour de lui, se rapporte à l’Élysée. Un tel système demeure démocratique si le président est en permanence responsable, pas forcément devant le Parlement, mais devant le peuple. C’est ainsi que fonctionnait le gaullisme originel : la toute puissance présidentielle reposait sur la confiance du peuple. Les cotes de popularité du Général ne descendaient jamais en dessous de 60 à 80% de confiance. De Gaulle n’envisageait pas une seconde de diriger le pays sans l’accord profond et constant de la Nation. L’autorité et la confiance formaient un tout indissociable. À quatre reprise en dix ans (1959-1969), le chef de l’État a posé la question de confiance au pays à travers un référendum. En cas d’échec, il s’engageait à démissionner. Et c’est ce qu’il fit en 1969. À ses yeux, le lien de confiance était rompu.
Les présidents successifs depuis une quarantaine d’années, bien au contraire, sont extrêmement impopulaires, leur taux de confiance dépassant rarement le tiers de l’électorat – mais cette impopularité est désormais ancrée dans l’habitude. Le lien entre la toute-puissance présidentielle (qu'elle soit réelle ou largement virtuelle) et la confiance populaire est rompu. La responsabilité présidentielle, face au peuple, comme contrepartie de son pouvoir, est abolie.
Ainsi, la dissolution de juin 2024 décidée par le président Macron marque l’apothéose de cette rupture. Après avoir posé le question de confiance au pays à travers la dissolution de l’Assemblée nationale, le chef de l’État a été clairement désavoué, perdant lors des législatives suivantes sa majorité relative tandis que ses troupes, la coalition dite Ensemble, subissaient une cinglante défaite. Pourtant, bien que désavoué par le suffrage universel, il n’a pas démissionné. Le principe de responsabilité est anéanti.
D’ailleurs, étrangement, nul dans la classe politique – y compris aux extrêmes – ni dans les milieux médiatiques ou intellectuels ne lui a demandé de quitter son poste, comme si cette rupture entre la toute-puissance et la responsabilité était désormais acquise.
Alors, évidemment, il n’est pas le premier dans cette situation. En 1997, après sa dissolution ratée, Jacques Chirac était resté en place malgré un désaveu populaire. Toutefois une alternative claire s’offrait alors avec une « cohabitation » ouvrant la voie au gouvernement de la « gauche plurielle ». Aujourd’hui, par-delà les fanfaronnades et coups de communication, la politique française est plongée dans un indescriptible chaos en l’absence de toute majorité parlementaire envisageable, sans la moindre issue prévisible, crédible et durable. Et le pays se trouve en situation de paralysie. Tel est le fruit de ce découplage, poussé à son paroxysme entre toute-puissance présidentielle (réelle ou virtuelle) et la responsabilité. L’occupant de l’Élysée peut faire absolument n’importe quoi, plonger la France dans le marasme, il est intouchable pendant cinq ans. Le mal politique français tient en grande partie dans ce paradoxe.
Le plus étrange tient à l’aveuglement ou la résignation de l’ensemble de la classe dirigeante, politico-médiatique et de la pensée politique face à une telle situation. Elle est entrée dans les mœurs et nul ne se pose la question fondamentale, celle du régime politique.
Or, les termes du débats sont relativement simples : soit un régime présidentiel sur le mode américain offrant des garanties de contrôle du chef de l’État par un puissant Parlement ou Congrès autonome (sans pouvoir de dissolution) et une procédure d’Empeachement ; soit un régime semi-présidentiel et parlementaire, selon la lettre de la Constitution 1958, avec un président arbitre, au-dessus de la mêlée, autorité morale mais n’intervenant pas dans le pilotage quotidien du pays, et un Premier ministre véritable et puissant chef de gouvernement, détenteur du pouvoir politique et responsable en permanence de ses choix sous le contrôle du Parlement.
Mais alors que j’affirme ce qui me paraît être une évidence, un choix fondamental à accomplir d’urgence pour sortir de l’impasse, tout le monde s’en moque. Pourquoi ? Parce que la bêtise ou l’inculture politique et historique, sur les crânes inclinés, a planté son drapeau noir, ou parce que tout simplement, la pourriture rêve du trône élyséen, être calife à la place du calife, royal et intouchable paon rayonnant de la splendeur de son plumage – et c’est tout ce qui compte.