Maxime Tandonnet
9/9/2024 - Samedi 7 septembre ont eu lieu des manifestations de gauche contestant le fondement démocratique de la nomination de M. Barnier à Matignon qualifié de « coup de force ». Elles auraient réuni 300 000 manifestants selon les organisateurs. Que faut-il en penser?
Le principal argument des manifestants tient au résultat des législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Avec 183 députés, la coalition de gauche dite NFP dispose du plus grand nombre de parlementaires, devant Ensemble 168 et RN 143. Même bien loin de la majorité absolue (289 députés), la gauche unie, en tête par le nombre de députés, aurait ainsi vocation à désigner un premier ministre issu de ses rangs.
Or, ce raisonnement n’est pas conforme à la tradition républicaine. En démocratie, dans la tradition française, la majorité relative n’est pas un critère de choix du gouvernement. Si une coalition dispose de 50%+1 une voix, évidemment le premier ministre doit être issu de ses rangs. Mais le fait de revendiquer le plus grand nombre de députés minoritaires, dans un contexte fragmenté, ne crée pas un droit à exercer le pouvoir.
Dans l’hypothèse d’une Chambre émiettée, sans majorité nette, le choix du chef de gouvernement et du gouvernement est toujours fondé sur la recherche du moins mauvais équilibre possible pour lui permettre de n’être pas mis en minorité et de durer aussi longtemps que possible en évitant la censure. Il est parfaitement normal de choisir le premier ministre ayant le moins de chance d’être censuré et donc de puiser un gouvernement dans une logique de quête d’un équilibre central par-delà les coalitions et les partis.
Ainsi, lors des élections du 10 novembre 1946, le parti communiste et ses alliés obtenaient 182 députés, le MRP (centriste) 162 et la SFIO (socialiste) 102. Le chef de gouvernement désigné fut pourtant Léon Blum de la SFIO (Léon Blum, icône de la gauche historique, n’a pas refusé la présidence du Conseil !).
D’ailleurs, si le RN, par un basculement de quelques sièges, l’avait emporté en nombre de députés en 2024, obtenant une prétendue majorité relative, tout en étant à cent lieues de la majorité absolue, les mêmes manifestants auraient-ils réclamé pour lui le droit à gouverner ?
La nomination de Michel Barnier est donc irréprochable sur le plan de la logique du fonctionnement parlementaire. En revanche, elle soulève évidemment une question de fond au regard de la perception de la démocratie par l’opinion.
Le Premier ministre est issue d’une formation qui a obtenu environ 7% des voix lors des deux tours des législatives, contre 33% au RN, 28% au NFP et 22% à Ensemble (macronistes). Si cette nomination est parfaitement légale et conforme aux principes républicains, nonobstant les protestations du 7 septembre, la question de sa légitimité populaire se pose en effet.
Disons que le fondement de l’accession au pouvoir de Michel Barnier relève de la légitimité historique plutôt que démocratique. Elle résulte des circonstances, des événements – l’effondrement d’un chef de l’État, un profond chaos politique, un pays en perdition – et non d’un choix populaire. (Le 30 juin 1958, de Gaulle n’est pas revenu au pouvoir à la suite d’une élection mais d’une profonde crise de régime.)
L’enjeu, pour Michel Barnier, est de transformer cette légitimité historique, de l’ordre de l’événementiel, en légitimité populaire – ou popularité qui compenserait le manque d’assise démocratique à la base.
La clé du succès tient à sa capacité à tenir tête à l’Élysée, à rassurer par sa personnalité, à donner un visage radicalement différent de l’autorité politique, à engager les réformes attendues des Français sur la sécurité, l’immigration, l’école, les finances et les services publics. Surtout, à bannir la folie de la communication narcissique pour recentrer la vie publique sur l’intérêt général.
À ce niveau, je me répète : les chances de succès sont évidemment réduites dans un contexte aussi difficile et piégé mais le coup mérite d’être tenté et d’ailleurs, quel autre choix que de tenter d’y croire, pour le pays ?