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26 septembre 2024

UN CONTE POUR ENFANTS

Gabriel Nerciat

- Où vas-tu ainsi, petite ? Tu crois donc que je crois que tu ne m'as pas vu ?
- Je sors de la fac Dauphine et retourne chez ma mère-grand, à Montigny, dans les Yvelines. Et vous, qui êtes-vous ? Je ne vous ai jamais vu. Oh, comme vous avez de grandes dents !
- Je suis un loup de l'Atlas marocain, petite calotine. Et j'ai franchi la mer pour arriver jusqu'à toi. Note que j'ai bien failli ne pas y arriver, mais grâce aux efforts conjugués d'un juge, d'un procureur et d'un secrétaire de préfecture, tu es maintenant à moi.
- Qu'est-ce que vous me voulez ? J'ai du travail, laissez-moi partir.
- Quoi, tu n'as pas pitié d'un pauvre loup harassé et vagabond, qui meurt de faim depuis qu'il a quitté sa tanière natale ? Tu n'as pas écouté ton souverain pontife, qui t'enjoint de m'accueillir dans tes jupes et ton foyer de façon inconditionnelle ? Pourquoi les proies sont-elles toujours incapables d'imiter les prédateurs qui les convoitent ? Cela m'étonnera toujours.
- Vous commencez à me faire peur. Et ce n'est pas qu'un sentiment.
- Pauvre petite. Tu crois que tu vas m'attendrir, avec ton crucifix en sautoir et ton ingénuité encore plus fatale que ma faim de loup ? Le juge grâce auquel je vais prendre du bon temps avec toi m'a dit avant de me sortir de ma cage que les brebis ne gagnaient rien à être protégées par le droit. Et il a raison parce que c'est moi désormais, le plus endurant et le plus cruel des loups de l'Atlas, que le droit protège. C'est attiré par l'odeur des livres Dalloz que j'ai résolu de quitter mes montagnes du Maroc afin de venir croquer ton bouquet. Si je te laissais vivre, ce serait comme profaner la tombe de Maître Badinter, ou uriner sur la façade de la Ligue des Droits du Loup. Tu ne peux pas accepter ça, c'est un péché.
- Et mon droit de vivre, de retrouver ma mère-grand, d'aider mes frères et mes soeurs, d'avoir des enfants un jour, il n'existe pas ?
- Il peut toujours exister, mais pour qu'il soit respecté il faudrait que nous soyons considérés, toi et moi, comme n'appartenant pas à une même espèce biologique. Ce que la loi votée par tes aînés et celle proclamée par ton pape interdisent formellement, même si c'est la vérité que tu vas endurer bientôt. C'est trop tard, petite cruche, pour récriminer contre les rigueurs de l'évolution.
- Laissez-moi. Vous avez des yeux méchants, et je ne vous aime pas. Je suis faite pour vivre, pas pour subir vos étreintes.
- Tu vois, je voulais te donner ton dernier cours de droit naturel, et tu ne m'écoutes pas. Eh bien, tant pis pour toi. Maintenant, passons aux choses sérieuses.
Lassé de ces préliminaires bavards, le loup de l'Atlas se jeta sur le petit Chaperon rouge des Yvelines, et la mangea avec beaucoup d'appétit et de lenteur. 26/9/2024