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2 octobre 2024

UNE DERNIERE TASSE DE THÉ AVANT L'AGONIE

Gabriel Nerciat

Le problème, avec Michel Barnier, je crois, ce n'est pas la banalité de ses propos ; c'est son flegme, son calme et sa diction.
Quand un notable centriste arrive à Matignon (le dernier en date, c'était Jean-Pierre Raffarin, avec ses aimables lieux communs de représentant de commerce poitevin et son accent anglais si ridiculement attachant), on sait qu'il ne dira rien de très marquant et que ses moindres mots, lestés de tout contact avec le réel et plus encore avec le futur (surtout lorsque le bonhomme, faute de mieux et pour combler le vide, se prétend d'abord proche des soucis concrets du peuple), s'effaceront de la mémoire de ses auditeurs aussitôt qu'ils auront été proférés par sa bouche.
Sauf que nous ne sommes plus dans les mièvres années 1990 ou 2000 : lorsque le régime républicain créé en 1958 vit ses tourments les plus graves depuis l'époque maintenant lointaine de la guerre d'Algérie et de Mai 68, dans un contexte parlementaire aussi inédit qu'inextricable et des tensions européennes de plus en plus stridentes, ce ton incolore et égal, à peine perturbé par le brouhaha exaspérant des vociférations mélenchonistes, n'est pas seulement inopportun ou inadéquat.
À force de retenue et de délicatesse, même vacharde, il frôle l'incorrection voire la provocation punk pure et simple.
L'air de dire : "Je n'ai pas de majorité et comme vous je ne sais pas exactement pourquoi je suis là, mais je m'en moque complètement. L'avenir est une question pour moi devenue très secondaire. Si vous ne voulez pas de moi, je retournerai vaquer à mes affaires en Savoie, et je n'abuserai pas de votre patience. En attendant, je compte bien augmenter les impôts, donner de vagues gages budgétaires à mon amie Ursula et promulguer quelques mesurettes qui ne diminueront en rien les crimes et les ravages suscités par l'immigration de masse extra-européenne, mais amadoueront peut-être pendant quelques mois le parti national-populiste que vous ne parvenez plus à endiguer. C'est à prendre ou à laisser, voyez-vous. Je ne m'en préoccupe pas plus que cela ; ne suis-je pas déjà d'une autre patrie plus lointaine que celle-ci ?"
D'habitude, en pareille circonstance, on attendrait un discours énergique, enflammé, alarmiste, lyrique, dans le genre churchillien qu'affectionne tellement le petit bourgeois centre-droit, atlantiste et pro-européen, qui ne veut rien tant qu'on lui promette du sang et des larmes mais pour d'autres que lui.
J'aurais bien vu, moi, un crétin menteur et amphigourique comme Manuel Valls ou Claude Malhuret : "Non, nous ne laisserons pas mourir la République, dépérir l'UE et agoniser nos créanciers. Debout les morts ! À la schlague je vais vous réveiller !".
À la place, le nouveau et sans doute éphémère Premier ministre propose à ses amis de disparaître sans geindre ou faire trop de bruit, comme le loup d'Alfred de Vigny ou le pauvre Martin de Georges Brassens.
C'est peut-être ça, en fait, la vraie légalisation de l'euthanasie.

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