Natalia Routkevitch
2/11/2024 – Le scrutin le plus attendu de l’année révèle une donnée surprenante : la polarisation très marquée entre hommes et femmes, avec les sondages montrant que le genre est désormais le critère déterminant dans le choix des électeurs américains.
"Les divergences entre hommes et femmes sur l'état du pays, les priorités et les candidats sont aujourd'hui le principal clivage de la politique américaine, influençant directement l'issue de la course présidentielle", écrit notamment USA Today.
D’après un sondage récent de USA TODAY/Suffolk University, les femmes soutiennent clairement Kamala Harris, avec 53% contre 36%, tandis que les hommes préfèrent tout aussi nettement Donald Trump avec 53% contre 37%. Ce fossé de genre se manifeste dans tous les groupes – parmi les Blancs, les Latino-Américains et les Afro-Américains.
Si ces écarts se maintiennent jusqu’au jour de l’élection, ils représenteront le plus grand fossé entre les genres sur des sujets politiques depuis que ce phénomène a été observé pour la première fois, il y a plus de quarante ans, en 1980.
On se rappellera que c’est à cette époque que prend de l'ampleur ce que l'on appelle le néo-féminisme ou le féminisme de la deuxième vague, qui envisage les relations entre hommes et femmes comme une lutte pour le pouvoir, où les hommes tiennent le rôle d’oppresseurs et les femmes, celui d’opprimées. Ce féminisme a un caractère fortement idéologique : il naît et prospère dans les milieux universitaires, dont les membres peuvent difficilement être qualifiés de « victimes de l’oppression patriarcale ».
Depuis lors, la confrontation entre les genres s’intensifie, avec un concours actif des politiciens eux-mêmes, qui encouragent cette polarisation. Les candidats actuels à la présidence travaillent consciencieusement à bâtir leur image de « candidat des hommes » et – encore plus – de « candidate des femmes ».
Cela se traduit, d’un côté, par des attitudes paternalistes et des plaisanteries machistes ; de l’autre, par une attention démesurée portée à la question de l’avortement, des qualificatifs outranciers – Donald Trump étant récemment qualifié d'« ennemi de toutes les femmes » par Michelle Obama – et de multiples tentatives de manipulation visant les électorats masculin et féminin, présentés de manière systématique comme antagonistes.
Ces discours donnent l'impression que les véritables enjeux sont éclipsés par des problèmes artificiels et secondaires. Plus que jamais, les observations de Christopher Lasch sur le caractère artificiel de la vie politique américaine semblent d'actualité : ce phénomène s'expliquerait avant tout par l'incapacité à apporter des solutions concrètes aux défis réels.
Voici ce qu'il écrit en 1993 dans "La Révolte des élites et la trahison de la démocratie" :
« Les Américains voient beaucoup moins l'avenir en rose qu'autrefois, et à bon droit. Le déclin de l'activité industrielle et la perte d'emplois qui en résulte ; le recul de la classe moyenne ; l'augmentation du nombre des pauvres (...) – on n'en finirait pas de peindre le tableau le plus noir. Personne n'a de solution vraisemblable à apporter à ces problèmes inextricables, et pour l'essentiel ce qui tient lieu chez nous de débat politique ne s'y intéresse même pas.
On assiste à des batailles idéologiques furieuses sur des questions annexes. Les élites qui définissent ces questions ont perdu tout contact avec le peuple. Le caractère irréel et artificiel de notre vie politique reflète à quel point elle s'est détachée de la vie ordinaire, en même temps que la conviction secrète que les vrais problèmes sont insolubles.
(...)
Or "si nous pouvons surmonter les fausses polarisations que suscite aujourd’hui la politique dominée par les questions de sexe et de race, peut-être découvrirons-nous que les divisions réelles restent celles de classes".