Gabriel Nerciat
10/11/2024 – Je ne me rappelle plus vraiment quelle fut la réaction de la plupart des communistes français, ou des marxistes au sens large, lors de l'effondrement de l'URSS, en 1991.
Pour les plus âgés, c'était sûrement une sorte de consternation désespérée, mais je crois qu'en moyenne c'est plus leur jeunesse et leur vie d'adulte qu'ils voyaient s'effacer et non un régime qu'ils savaient failli depuis longtemps.
Je me souviens d'un vieil instituteur, qui avait fait la résistance dans les FTP : "Staline est vraiment mort cette fois", m'avait-il lâché après le coup d'État de Boris Eltsine, dans un constat amer qui n'était peut-être pas seulement un regret. On aurait dit un chrétien désabusé, soudain convaincu que le tombeau du Christ était resté scellé.
Seuls quelques imbéciles trotskistes (il y en a toujours autant à chaque génération) péroraient en proclamant à tour de bras : "Bon débarras. Maintenant, on va faire la vraie révolution prolétarienne, qu'on se le dise !".
Depuis quelques jours, c'est un spectacle assez semblable que je contemple, fasciné et ravi, chez les atlantistes atterrés par l'écrasante victoire de Trump (pas seulement les atlantistes de gauche type BHL ou Glucksmann, mais aussi les autres : tous les Baverez, Bruckner, Snyder, Friedman, Moïsi et consorts).
Leur désespoir ressemble en tous points à celui d'un mari trompé : je l'aimais comme un fou, je lui ai tout donné, elle était mon unique raison de vivre, et voilà qu'elle me quitte pour ce butor, ce populiste, ce nazi !
Comme dans la guimauve de Jonasz, mais à l'envers : ne me dites pas qu'elle m'a quitté pour un autre que moi.
Pour l'autre que moi, devrait-on dire en bousculant la syntaxe.
Que vont-ils devenir, tous ?
Bien sûr, ils vont conserver un certain temps leurs prébendes et leurs privilèges sociaux.
Mais la plupart d'entre eux savent très bien que ça ne suffit pas.
Surtout quand ils ont fini par s'auto-persuader de la réalité de leurs délires. Un clerc, c'est comme un montreur de marionnettes : si les marionnettes changent l'issue de l'histoire qu'il raconte, c'est la totalité du théâtre qui finira par lui échapper et par tomber en poussières par-dessus lui.
Il faudrait être suffisamment charitable pour se montrer compatissants envers eux. Mais non, surtout pas.
Leur passion idéologique n'était que le revers de la détestation profonde, atavique, assumée qu'ils nous vouaient. Pire qu'une passion triste, comme ils aiment à dire, une monomanie perfide et ruineuse.
Alors aujourd'hui, n'ayons pas de pitié. Eux n'ont jamais résisté à quoi que ce soit.
Déjà, avant-hier, j'ai lancé à l'un de ces tristes cocus qui vitupérait devant moi la vulgarité et la sottise des électeurs du Michigan ou de la Caroline du Nord, en essayant de prendre le ton digne et outragé des philistins du genre Luc Ferry (je ne sais pas si j'ai réussi) : "C'est lamentable, d'être aussi trivialement anti-américain. Je vous croyais mieux éduqué que ça, mon pauvre ami."
Et je suis reparti rasséréné, heureux, comme le dernier des hommes de Pabst quand il revient dîner en vainqueur dans le restaurant de l'hôtel qui fut le théâtre de son indignité.