Gabriel Nerciat
- 7/12/2024 - Fabuleux moment de radio, ce matin, sur France Culture, dans l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut (qui n'a pas réussi pendant une heure à en placer une), digne des plus beaux matchs de boxe façon Tyson ou Ali du siècle dernier, même si ici le vaincu tombe à terre avant la fin du deuxième round.
Je conseille à tout le monde de l'écouter en podcast si vous l'avez ratée.
La façon dont Pierre Lellouche, à propos de la guerre en Ukraine, a ridiculisé et humilié en direct Nicolas Tenzer, le plus torve, délirant et haïssable doctrinaire néo-con français des vingt dernières années, est absolument admirable et définitive.
L'estocade du dernier quart d'heure, notamment, est tellement bien menée qu'à la fin Tenzer n'arrive même plus à trouver ses mots : on dirait qu'il va s'évanouir, de honte et d'impuissance, dès les premières notes du générique de fin.
Le raisonnement, digne de Bainville, au terme duquel son contradicteur le terrasse sans bavure est à la fois implacable et d'une lucidité effrayante : comme dans les années 1920 et 1930, les dirigeants occidentaux, surtout européens, par lâcheté ou par inconséquence, ont rendu inévitable une guerre parfaitement prévisible qui pourrait devenir aujourd'hui nucléaire et mondiale, sans vouloir toutefois en payer le prix stratégique, économique, matériel et moral.
À vrai dire, rien ne prédisposait Lellouche, atlantiste de toujours et ancien président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN (même s'il fut aussi, par ailleurs, un proche de Philippe Séguin dans les dernières années de sa vie), à prendre les positions qu'il adopte depuis deux ans à propos du conflit majeur de cette décennie, mais cette évolution n'en est que plus appréciable et méritoire à mes yeux.
Elle démontre surtout une chose : dans les crises les plus graves que traverse le monde, au-delà des fidélités, des intérêts et des idéologies de tout à chacun, il n'y a qu'une seule ligne de partage qui compte réellement au moment de basculer dans l'irrémédiable.
Celle qui oppose les héritiers de Cassandre (les voix qui expliquent sans être crues la certitude des tragédies futures) aux imitateurs de Phaéton et de Tantale (ceux qui croient pouvoir égaler les dieux en violant leurs lois, et déclenchent par arrogance narcissique la catastrophe qui va les foudroyer).
À chaque fois, on en revient toujours à ça.
Heureusement, parfois Cassandre parvient à amadouer Apollon. Le dieu alors se tient sur la réserve, et prudemment devient aussi muet que Finkie ce matin.
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