Gabriel Nerciat
- 28/1/2025 - Henry de Montherlant, dans ses carnets de 1926, notait que le dixième anniversaire de Verdun avait fait un bide (son premier succès littéraire était consacré à la mémoire des morts de l'ossuaire de Douaumont, et il en était aussi peiné que peu surpris).
Aujourd'hui, en 2025, c'est Auschwitz qui fait un bide.
Si l'on compare avec les commémorations qui eurent lieu en 2005, du vivant de Simone Veil et d'Elie Wiesel, dont j'ai gardé un souvenir aussi exact qu'affligé, c'est vraiment le jour et la nuit (sans mauvais jeu de mots).
Cela n'intéresse plus personne, et même les derniers témoignages des ultimes rescapés de l'Holocauste sont accueillis au mieux avec une indifférence polie. Les pontes de l'audiovisuel les diffusent d'ailleurs en fin de soirée, vers 23 heures, sur des chaînes d'État que personne ne regarde, même au cœur de la nuit.
On se croirait revenu au documentaire de Bertrand Blier de 1963, où les jeunes boomers des Trente Glorieuses affirmaient crânement devant sa caméra : "Hitler, connais pas !".
Nous, évidemment, on connaît : François Mitterrand après 1983 a fait en sorte que son fantôme devienne obsédant, mais les fantômes c'est comme tout. Quand ils hantent un lieu trop longtemps, ils finissent par faire partie des meubles, et on cesse de penser à eux ou d'en avoir vraiment peur.
Les droitards en accusent Mélenchon et l'extrême-gauche, de façon aussi piteuse et pavlovienne que les gauchistes accusaient Jean-Marie Le Pen de ressusciter le nazisme il y a trente ans. Mais il est évident que la vraie raison n'est pas là.
Simplement, les passions idéologiques du siècle précédent ne ressemblent pas à celles qui affolent ou bousculent le monde d'aujourd'hui. Le génocide hitlérien, c'est comme la peste bubonique ou l'élimination des Templiers : cela appartient plus à la section des horreurs du musée Grévin qu'à notre conscience du présent ou nos craintes du futur.
Même ceux qui ont voulu, cyniquement ou sincèrement, comparer les meurtres du 7 octobre aux camps de la mort en ont été pour leurs frais. Un type qui parle d'islamo-fascisme ou de nazislamisme se ridiculise dans la minute, même sur C-News.
D'ailleurs, les belles âmes progressistes qui feraient mine de s'en lamenter n'ont finalement que ce qu'elles méritent. Il y a de cela quelques mois, j'ai entendu une fille de 20 ans, beaucoup moins insolente que celles qu'on voit dans le documentaire de Blier, lancer à un journaliste de trois décennies son aîné : "Le monde dans trente ans va devenir une fournaise, et vous me parlez des massacres d'il y a un siècle ? En quoi est-ce que ça doit nous intéresser ?".
Eh oui, ma pauvre Elvire : on ne peut pas mobiliser deux apocalypses en même temps pour continuer à faire son beurre idéologique. Le Mal absolu ne souffre pas la concurrence ou le dédoublement, et tend nécessairement au monopole.
Mais à toute chose malheur est bon, comme on dit.
Tant que la Shoah - le concept inventé par Claude Lanzmann, bien plus que la réalité historique qu'il décrit - hantait l'essentiel des consciences européennes, une sorte d'anesthésie collective et mentale recouvrait le corps des nations de l'ouest du continent.
Tout ce qui évoquait la moindre dimension identitaire propre aux nations européennes, la plus petite évocation organique ou charnelle des peuples sédentarisés du Vieux Continent, se voyait relégué dans le vestibule funèbre qui mène aux chambres à gaz.
Je me trompe peut-être, mais il me semble que ce temps est fini, ou est en train d'agoniser. Et c'est heureux.
Car à la fin d'une anesthésie, il n'y a que deux solutions : on se réveille et on vit, ou bien alors on meurt. Pour de bon.