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4 février 2025

Benoît Girard

- 4/2/2025 - Il y a sans doute beaucoup de choses à reprocher à Jean-Luc Mélenchon. Cependant, la réception de ses propos sur la "créolisation" et sur le "grand remplacement" témoigne surtout du degré d'effondrement intellectuel et moral atteint par la population française et ses prescripteurs d'opinion.
Sur la créolisation : Jean-Luc Mélenchon ne la présente en aucun cas comme un objectif à poursuivre mais comme l'observation d'un processus en cours. S'il y avait quelque chose à lui reprocher, c'est l'excès d'optimisme qui le conduit à percevoir une dynamique positive d’interaction entre les cultures là où il faut sans doute plutôt constater leur passage au laminoir commun de la mondialisation marchande.
Sur le grand remplacement : à aucun moment Jean-Luc Mélenchon n'en a appelé à "la conquête démographique de la France rurale" (JDD). Son propos ne consiste pas à renverser le paradigme imposé par l'extrême-droite mais à le subvertir en montrant qu'il n'y a qu'un seul grand remplacement : celui d'une génération par une autre. Il montre par-là qu'un peuple n'est pas une essence qui se trimballe de mains en mains dans les bagages de l'Histoire et dont nous devrions revendiquer la "continuité" comme un "droit", mais un flux dont le caractère vivant se remarque précisément à sa capacité de régénération et de cicatrisation. Comme une rivière, un peuple n'est jamais le même d'une seconde à l'autre. C'est rétrospectivement, quand la source du récit se tarit, qu'il apparaît sous les traits d'une identité fossile.
Contrairement à ce que je lis partout, Jean-Luc Mélenchon ne réunit donc aucune des caractéristiques qui définissent un intellectuel d'ultra-gauche. C'est un social-démocrate que la droitisation relative du spectre politique fait apparaître comme un souverainiste modéré, tandis que le Parti socialiste a suivi le courant dominant et s'est maintenant échoué sur les rivages du macro-lepénisme où il barbote avec bonheur. Le verbe mélenchonnien se veut performatif : il cherche à restaurer les conditions de la délibération électorale dans le périmètre politique d'une histoire vivante et francophone. D'une certaine manière, et par provocation, on pourrait dire que Jean-Luc Mélenchon constitue la dernière manifestation crédible d'un conservatisme respectable qui ne consisterait pas seulement à foncer dans le mur en klaxonnant.
Si un tel discours n'est pas entendable, il faut en déduire qu'il n'y a plus d'issue politique qui préserve un minimum de continuité avec le cadre existant - ce à quoi prétendent justement aspirer les "identitaires". Le seul fait que les mots de Jean-Luc Mélenchon agissent comme du sel sur la plaie de nos paranoïas collectives montre que nous sommes pas encore mûrs pour les combats de l'indépendance.