Gabriel Nerciat
- 4/2/2025 - Les débuts pétaradants mais aussi tonitruants et quelque peu brouillons ou contradictoires de la seconde présidence Trump ne laissent pas de fasciner, tout en entretenant chez le spectateur impartial une certaine perplexité.
Comme je l'ai déjà écrit, il est beaucoup trop tôt pour savoir avec précision ce que Trump va faire sur pas mal de sujets décisifs, mais au vu de ce qu'il a dit ou mis en oeuvre ces derniers jours (taxes protectionnistes contre la Chine et l'UE ; bras de fer gagnants initiés avec Trudeau, Netanyahou, la présidente du Mexique ou le chef d'État colombien ; menaces de plus en plus agressives à l'encontre de l'Ukraine de Zelensky qu'il envisage de piller comme une vulgaire colonie à pressurer et à vendre), une hypothèse me semble digne d'être émise, dans la continuité du précédent statut que j'ai publié ici sur le même sujet en faisant référence à la doctrine Monroe et à l'admiration que l'ancien homme d'affaires new-yorkais a toujours manifestée à l'endroit du président McKinley.
Peut-être sommes-nous arrivés au seuil d'un moment décisif dans l'histoire de la mondialisation, où une partie des dirigeants du monde occidental – chefs d'État nationaux-populistes ou ploutocrates milliardaires texans et européens – ne jugent plus pertinent de maintenir le libre-échange des marchandises à un niveau global (non plus que le système de sécurité collective jusqu'alors associé à l'idéologie multilatérale) car le prix à payer pour la souveraineté des nations, le maintien des équilibres sociaux et la légitimité des régimes politiques parlementaires hérités du XIXe siècle devient chaque année de plus en plus exorbitant.
Il est temps surtout de se souvenir que la libre circulation des capitaux ne répond pas aux mêmes règles que la libre circulation des marchandises, des hommes et des services.
Autrement dit, une nation avec un fort potentiel technologique et élitaire peut très bien décider de taxer ses importations pour contraindre un nombre croissant d'entreprises à venir produire sur son sol, afin de maintenir le niveau de vie de sa classe moyenne et redresser son commerce extérieur, tout en continuant à permettre l'investissement massif de capitaux étrangers (notamment chinois ou européens) dans son économie nationale.
Contrairement à ce qu'une vulgate néo-libérale mais aussi vieille Nouvelle Gauche rocardienne a longtemps prétendu en se réclamant des concepts approximatifs de Karl Popper, les enjeux économiques ne se réduisent pas à une alternative binaire entre partisans de la société ouverte et apôtres de la société fermée.
Et les frontières ne sont pas faites pour les chiens ou pour les oiseaux – mais bien pour les hommes.
Les foucades protectionnistes de Trump, la guerre de Poutine en Ukraine et les audaces mesurées de la nouvelle puissance chinoise, en dépit des apparences, annoncent peut-être ce retour aux grands équilibres mondiaux, semblables à l'organisation du système solaire à quoi Joseph de Maistre comparait le concert classique des nations à la veille du Congrès de Vienne.
La planète ne peut pas durablement marcher d'un même pas, et l'empire américain est trop fatigué aujourd'hui pour continuer à imposer sa tutelle inefficace de Dublin à Okinawa en passant par Varsovie, Le Caire et Taïwan (le vice-président J.D. Vance a rappelé pertinemment la semaine dernière que les États-Unis n'avaient pas gagné une seule guerre depuis cinquante ans).
En revanche, les investissements croisés de capitaux eux n'ont aucune raison de cesser : les nouvelles puissances financières de l'Asie et du Golfe ont tout intérêt à investir à la bourse de New-York et les ploutocrates de la tech ou de l'ingénierie spatiale n'ont aucune raison de bouder leurs apports en capitaux (c'est peut-être aussi ce que signifiait la mise en garde du ploutocrate français Bernard Arnault à François Bayrou, qui a tant ému le marigot socialiste ces derniers jours).
L'alliance de Trump et de Musk – cette synarchie ploutocratique et populiste, qui est en train de voler le pouvoir aux oligarchies bureaucratiques de l'État profond – annonce peut-être à la fois la troisième mort de Marx et la seconde défaite du libéralisme classique (la première a eu lieu entre 1914 et 1929).
Bref, gauchistes syndiqués et droitards orléanistes ou européistes cocufiés en même temps.
Ah oui, que Dieu bénisse l'Amérique, vraiment !
P-S : Cette fois, on ne viendra pas me dire que je suis anti-américain...