Gabriel Nerciat
-12/4/2025- Beaucoup d'historiens prétendent que la religion protestante - et donc, à partir d'elle, une part non négligeable du monde moderne occidental - est née moins du génie hérétique et littéraire de Luther que de l'invention formidable de Gutenberg, laquelle permit de répandre ses 95 thèses apostates et sa traduction allemande de la Bible chrétienne dans tout le Saint Empire en quelques mois.
Je ne sais pas si c'est totalement vrai, mais je suis persuadé que le démon des guerres civiles bénéficie quant à lui de nos jours d'un auxiliaire technique indispensable à travers la permanence d'un objet-culte irremplaçable : le petit carnet noir avec fermeture élastique (modèle Premium A6).
Quand j'avais 20 ans, j'en possédais déjà un, que j'ai retrouvé un jour au cours d'une expédition dans le grenier : c'est là où j'avais noté le nom, en 1992, de tous ceux, notamment parmi les membres du défunt RPR dont j'étais proche à l'époque, qui avaient appelé à voter oui au traité de Maastricht.
Car les guerres civiles sont comme les vengeances chez Dumas ou Verdi : elles viennent de loin, se préparent souterrainement, et doivent pallier les insuffisances biologiques de la mémoire.
C'est pourquoi un bon chrétien doit toujours avoir un carnet noir sur soi : ce n'est pas parce qu'on pardonne une offense qu'il faut l'oublier, et ce d'autant plus que le pardon risque d'atténuer le souvenir futur d'une offense passée.
Je te pardonne, salopard, Dieu le veut, mais juste avant le pardon je note ta saloperie dans un espace mineur et délimité offert à ma discrétion pour en retrouver la trace un jour, quand les affres de l'amour-propre seront depuis longtemps désactivées.
En période de coup d'Etat et de troubles politiques, la même méthodologie s'impose.
Et c'est presque voluptueux de noter sur une même page, derrière des tirets espacés d'une ligne, les noms de Laurent Joffrin et de Thomas Gomart, de François Hollande et de Jean-François Copé, de Clémentine Autain et de Roselyne Bachelot, de la belle A. et de l'horrible V., etc.
Peut-être que ça ne servira à rien, mais les bassesses et les ignominies resteront consignées dans nos archives - au cas où.
Même si Dieu les oublie, nous nous en souviendrons.
L'État de droit devrait interdire l'usage des carnets noirs, avec exécution provisoire. Car il est bien plus fragile que Dieu.