Gabriel Nerciat
-10/4/2025- Joie hystérique, à peine amortie par un vague réflexe de méfiance, chez la plupart des commentateurs assermentés en apprenant la suspension pour trois mois par Trump de ses surtaxes protectionnistes à l'intention de tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis hormis la Chine, qu'ils interprètent (à tort) comme un début de capitulation.
Quand on les écoute, même d'une seule oreille comme moi, une chose apparaît en évidence : à leurs yeux, l'économie n'est faite que de consommateurs et d'actionnaires-boursicoteurs.
Tout le reste - c'est-à-dire le monde immense de la production et du travail, qu'il soit indépendant ou salarié ; l'univers de l'entreprise, de la ferme, de l'usine ou de la boutique - tout simplement n'existe pas.
Ou alors, c'est un peu comme Dieu chez les sceptiques et les épicuriens : on suppose ou on admet qu'il existe, mais on vit et on agit comme s'il n'était pas là.
D'ailleurs, un imbécile, apologiste standard du libre-échange global, disait ce matin à la radio : "Trump se prend pour Dieu, alors que personne de sérieux n'est assez bigot ou stupide pour croire en lui. Il faut qu'il cède devant la raison."
Or, il me semble que c'est le contraire.
Trump est la ruse de la raison, au sens hégélien, par l'entremise de laquelle la part ignorée, presque maudite désormais, de l'échange économique est en train de se venger de la violence et du déni dont elle est l'objet depuis trois ou quatre décennies.
Les revirements, tactiques ou brouillons, du président américain ne suffiront pas à masquer longtemps une réalité : dans le monde de demain, le droit et les idées de l'OMC, comme celles de l'ONU, quoi que fassent les clercs du libéralisme, ne s'imposeront plus.
Les jeux "gagnants-gagnants" n'existent pas, et n'ont jamais existé. Surtout dans un monde qui se veut concurrentiel et adepte du changement pour tout.
Trump ne se prend pas pour Dieu, mais parce qu'il a fait plusieurs fois fortune et faillite dans sa vie, il sait peut-être mieux que lui que les grandes firmes transnationales sont aussi mortelles que leurs actionnaires, et que si les consommateurs un jour ne peuvent plus consommer, eh bien ma foi ils vont devoir d'abord travailler.
Dur, bien sûr. Mais comme ce fut déjà le cas pour Adam lorsqu'il dût quitter le jardin d'Eden, pathétiquement voué à la mort et au désir de sa femme.
Cela les fera maigrir, et le soir venu ils pourront contempler le vol des balles perdues près du golf de Mar-a-Lago.
C'est comme ça, mes pauvres amis : il ne fallait pas consommer la pomme, juste pour accélérer la fin de l'Histoire et coter celle-ci en bourse.
Elle aussi se venge le moment venu, quand on croit être autorisé à en toucher les dividendes.