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5 mars 2024

Le grand mythe d’objectivité

Natalia Routkevitch

Dans son dernier éditorial, Riss met les choses à plat quant à la prétendue objectivité de nos médias - un cache-sexe pour l’idéologie et le moralisme - et tacle Reporters sans frontières qui font du flicage au lieu de faire leur boulot : défendre la liberté d'expression. Le monde du journalisme n'est, hélas, pas le seul où sévissent ces détenteurs du monopole de l'objectivité et de la lucidité, toujours à l’affût pour dénoncer et excommunier (faute de pouvoir les lapider) ceux qui ne correspondent pas à leurs critères arbitraires de "neutralité".

Le Conseil d’État vient de rendre une décision qui oblige l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à exiger de la chaîne CNews une plus grande pluralité et à lui imposer une plus grande indépendance éditoriale vis-à-vis de ses actionnaires. Cette décision fait suite à un recours déposé par l’ONG « Reporters sans frontières », qui reprochait à CNews de ne pas être une chaîne d’information suffisamment pluraliste.
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Que faut-il penser d’une telle décision pour être honnête ? Il est assez étrange de voir une ONG dont la mission est de défendre les journalistes, déposer un recours qui a pour objectif de surveiller la liberté d’expression d’un média accusé de ne pas être suffisamment pluraliste et de privilégier une ligne éditoriale partisane. Pour « Reporters sans frontières », « CNews n’est plus une chaîne d’information, mais est devenue un média d’opinion ».
Ainsi, l’existence d’une chaîne d’opinion n’est pas possible en France. Ainsi, toutes les autres chaînes ne seraient donc pas des médias d’opinion ?
CNews est effectivement une chaîne d’opinion et quand on la regarde on sait où on met les pieds. « Charlie » qui est aussi un média d’opinion n’a jamais manqué de dénoncer les orientations politiques et l’influence de son propriétaire, le très réactionnaire Vincent Bolloré, et de caricaturer ses animateurs vedettes comme Pascal Praud ou Cyril Hanouna. Mais qu’y a-t-il d’illégal à insuffler une ligne éditoriale orientée politiquement dans un pays démocratique ? Tous les médias fonctionnent comme ça.
Il y a une hypocrisie dans laquelle pataugent beaucoup de rédactions en France, celle du mythe de l’objectivité journalistique, et plus encore celui de l’indépendance des médias. L’objectivité journalistique n’existe pas. Toutes les rédactions hiérarchisent l’info et font le choix de mettre en avant certains faits et pas d’autres. L’indépendance des médias aussi est une fiction. À l’exception d’une poignée, comme l’Humanité, le Canard enchaîné, la Croix et Charlie Hebdo, presque tous les autres organes de presse privés appartiennent à des financiers ou à des milliardaires. La situation économique de bon nombre de médias est telle que sans les investissements de ces hommes d’affaires, ils disparaîtraient purement et simplement.
S’il fallait appliquer au monde médiatique les règles comptables en vigueur dans les autres secteurs d’activité de l’économie, ils feraient tous faillite. Quel intérêt alors pour des financiers d’investir dans des chaînes de télé ou des journaux qui perdent de l’argent ? Plus les médias possédés par ces magnats sont déficitaires, plus ces derniers peuvent déduire leur perte du bilan comptable de leur groupe et par ce biais bénéficier d’abattements fiscaux. Voilà par quel artifice fiscal la plupart des médias sont encore en vie. Dans les comptes des sociétés détenues par ces investisseurs, ces médias ne représentent qu’une ligne comptable parmi des dizaines d’autres. On comprend que la fierté journalistique en prenne un coup. Surtout quand le prix à payer est de devenir la propriété d’un grand patron. On avait juste oublié que certains de ces hommes d’affaires pouvaient avoir envie d’investir aussi pour défendre des idées. Et quand on découvre avec horreur qu’un tycoon met du fric dans un journal ou une télé pas uniquement par calcul fiscal mais aussi par idéologie, alors cela devient un crime qu’il faut à tout prix rendre illégal. Au nom de la liberté d’expression ou du pluralisme.
Après une telle décision que va-t-il arriver à des télés comme la chaîne pro-israélienne I24 news qui depuis les massacres du 7 octobre n’a pas donné le temps de parole identique au représentants de Tsahal et à ceux du Hamas ? De même, la chaîne pro-cathos KTO n’a pas invité sur ses plateaux autant de bonnes sœurs que de bouffeurs de curés, et LCI qui a fait le choix éditorial de couvrir assidument la guerre en Ukraine n’a pas non plus interviewé le même nombre de militaires de l’OTAN que de militaires russes. Méritent-elles encore le titre de « chaînes d’information » ? Un support audiovisuel aura-t-il encore le droit d’avoir une ligne éditoriale partisane assumée ?
Pour Charlie, les seules limites à la liberté d’expression sont celles définies par la loi, à savoir la diffamation, l’injure, l’incitation à la haine raciale et l’appel au meurtre. A l’intérieur de ces périmètres, on a le droit de dire ce qu’on veut. L’objectivité est une hypocrisie derrière laquelle se cachent beaucoup de détenteurs de la carte de presse et qu’a toujours dénoncé Charlie. Un cache-sexe pour l’idéologie et le moralisme. La pluralité n'existe qu'à travers la diversité des lignes éditoriales proposées aux citoyens. Il est absurde d’affirmer qu’un média peut à lui seul offrir au public la totalité du spectre des opinions politiques, philosophiques ou spirituelles des 68 millions d’habitants du pays. Une ambition délirante, mais que prétendent pourtant satisfaire les grands médias audiovisuels généralistes, concurrents de CNews. La modestie ne semble pas les étouffer.
Les journaux télé du service public consacrent la première moitié de leur temps à l’actualité franchouillarde des grèves et de la hausse des prix et le reste à l’actualité internationale et aux derniers sabotiers de Poitou. J’exagère à peine. Et c’est cela qu’on nous présente comme une information objective et équilibrée. On attend le recours des Reporters sans frontières contre France Télévisions pour obtenir qu’un temps d’antenne identique soit accordée au reportage sur les rempailleurs de chaises du Berry et les fabricants d'espadrilles du Pays basque. Notre démocratie l'exige.

4 mars 2024

L’inquiétant procès fait à CNews

Maxime Tandonnet
(pour Atlantico avec Mme Céline Pina) - Publié le 2 mars 2024


Ce jeudi 29 février 2024, Maxime Saada ainsi que plusieurs figures de CNews, dont Pascal Praud, Laurence Ferrari, Serge Nedjar et Sonia Mabrouk ont été entendus à l’Assemblée nationale lors d’une commission d’enquête. Quels sont les principaux enseignements de cette journée d’audition ?

Oui, c’est un spectacle hallucinant qui donne une impression d’État totalitaire. Car la démocratie repose sur la séparation des pouvoirs, et la presse, qu’elle soit radio ou télévision est bien un quatrième pouvoir. La démocratie est inconcevable sans une presse et des médias indépendants des autres pouvoir, législatif, exécutif et judiciaire.

Nous avons en France une tradition de service public très puissant de la radio-télévision avec France Inter, France 2 et France 3. Ce service public est lui dépendant de l’État. Mais à côté, des chaînes privées qui sont, elles, indépendantes. Les radios libres – et donc télévisions libres – ont été instaurées par François Mitterrand en 1981. Auparavant, il existait un monopole de l’État sur les ondes. Le principe même est que ces radios et télévisions sont libres dans leur expression. Est-ce cet acquis, qu’il faut bien le reconnaître, nous devons à François Mitterrand en 1981, que l’on veut remettre en cause ? Ce serait un incroyable recul sur le plan des libertés – un de plus.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de cette audition? Les représentants de la gauche au sein de cette commission n’ont-ils pas cherché à politiser, à transformer cette audition en procès à charge digne d’un Politburo ?

Aurélien Saintoul (me semble-t-il) s’est moqué de Laurence Ferrari en parlant de son « blabla ». On se demande où sont passés les féministes à cette occasion ! Vous imaginez si une journaliste présumée de gauche avait été traitée ainsi par des parlementaires de droite ?

L’impression qui est donnée est bien celle d’une sorte de procès de Moscou contre une chaîne indépendante. Ce n’est pas à un député de persécuter ainsi publiquement une journaliste en essayant de la ridiculiser. La scène est sidérante, dépasse toute imagination. C’est un procès politique, idéologique.

Ce qui est reproché porte sur le contenu de l’information et des commentaires diffusés sur CNews. Sur un ton digne du temps des commissaires politiques. Il est évident que la tonalité de la chaîne est davantage marquée à droite que LCI, BFMTV et les chaînes publiques. Et que cette tonalité rencontre un succès chez les téléspectateurs qui ne se reconnaissent pas ou moins dans les autres chaînes jugées exagérément stéréotypées. Le succès de CNews est le produit du conformisme et de la pensée unique qui règnent ailleurs. Mais il est aussi évident que, par le contenu de l’information et la personnalité de ses invités, CNews n’est pas plus à droite que France Inter n’est à gauche.

Au fond, ce qui est inadmissible aux yeux des censeurs c’est qu’il existe une chaîne qui s’éloigne de la pensée unique ou du politiquement correct et se permet de poser des questions qui dérangent. Car enfin, nul n’est obligé d’écouter CNews. Si le ton de la chaîne déplaît, on peut tout aussi bien zapper sur LCI ou BFMTV. C’est la liberté de ton, au regard de la pensée unique qui indigne nos censeurs. Qu’est-ce que cette commission d’enquête ? Nous voyons Pascal Praud et Laurence Ferrari traités comme des délinquants face à un tribunal. On est en plein cauchemar.

Au regard de cette audition, les censeurs ne préféraient-ils pas en réalité la discrétion de la voie administrative plutôt que les procès publics qui tournent en bérézina pour les accusateurs ? Faut-il s’inquiéter au regard de cette audition sur « l’attribution des chaînes, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre » et que de possibles sanctions soient prises contre CNews ?

Bien sûr qu’il faut s’en inquiéter. C’est dans le cadre de l’attribution des fréquences TNT pour l’année 2025 que des dirigeants du groupe Canal et des animateurs de CNews sont interrogés par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale. Or cette audition a pris des allures de procès politique. L’un des moments les plus surréalistes fut l’interrogatoire sur un ton accusatoire des journalistes de CNews pour le traitement par cette chaîne de la situation en Israël. En quoi cela regarde-t-il des députés ayant revêtu la robe de l’inquisition politique ?

Dès lors qu’il existe un média indépendant de l’État, le politique, à travers cette commission d’enquête n’a aucune légitimité pour s’ingérer dans le traitement de l’information par des journalistes. Ou sinon, cela signifie qu’on change de régime ! Quelle impartialité quand France 2 traite des mêmes sujets ? Or, le devoir d’impartialité devrait incomber bien davantage au service public, en partie financé par les contribuables, qu’aux chaînes privées par définition indépendantes de l’État.

Il est certes évident que les médias sous le contrôle de Vincent Bolloré offrent une tonalité différente des autres qui n’a rien de fascisante mais ouvre des espaces de non-conformisme et d’expression dite « populiste » qui n’existent plus ailleurs tout en respectant la pluralité des opinions (par exemple avec la participation fréquente de Julien Dray, figure emblématique de SOS racisme et du parti socialiste). C’est cet espace de liberté d’expression que nos censeurs de la commission d’enquête veulent détruire ou refermer. Et le danger est réel.