Denis COLLINAinsi donc, les électeurs italiens ont permis qu’arrive au pouvoir une coalition de droite dont désormais le principal parti est Fratelli d’Italia (FdI), secondé par le parti de Berlusconi (Forza Italia) et le parti de Matteo Salvini, la Lega. Immédiatement, les grandes orgues de l’antifascisme se sont déclenchées notamment en France, les divas de la NUPES battant tous les records du ridicule et de la bêtise, talonnées de près par quelques ténors macronistes, la première ministre incluse. Mme Rousseau, la plus bête, la plus inculte et la plus méchante de la bande, nous invitait même à entonner « les loups sont entrés en Italie », alors que la louve est le symbole de Rome et de Sienne.
Laissons la bêtise des bêtes de côté. La réalité est que FdI réalise le score somme toute modeste de 26 % des voix et que l’ensemble de droite est en dessous de 45 %. Donc une majorité d’électeurs italiens ont voté contre eux, notamment pour le PD de Letta et les « Cinq étoiles » de Conte. Toutes les études montrent que c’est l’éparpillement des voix du « centro sinistra » qui a pemis à la Meloni d’obtenir la majorité. Notamment le sectarisme d’Enrico Letta qui voyait déjà le M5S à terre à souvent permis l’élection d’un candidat de droite là où un PD ou un M5S pouvait gagner. Pas de raz-de-marée, ni même de transformation profonde des rapports de force électoraux. En revanche deux phénomènes sont à noter : d’une part, les déplacements au sein de la « droite » en direction de Meloni, d’autre part l’éparpillement façon puzzle de la « gauche ».
Au sein de la droite, Meloni rafle la mise au détriment principalement de la Lega qui se fait étriller dans ses bastions du Nord, notamment en Vénétie, passant nationalement de 34 % à 9 %. Ici les réglements de comptes ont déjà commencé. Bossi, l’ancien chef de la Lega, écarté un temps pour quelques indélicatesses financières, et Roberto Maroni, ancien président de la Lombardie, demandent la démission de Salvini. Berlusconi avec son maigre score de 8 % (sans changement) est mal parti pour finir au Quirinal, quand l’heure du remplacement du président Mattarella aura sonné. En vérité, Meloni tire les marrons du feu parce que ses deux acolytes étaient membres du gouvernement précédent de Draghi, aux côtés du PD ! C’est aussi simple que cela.
À « gauche », c’est-à-dire du côté des équivalents italiens de Macron et de quelques autres groupes et groupuscules, c’est parti dans tous les sens. Le M5S limite la casse à 15 % alors qu’il était concurrencé par le groupe de l’ancien ministre M5S di Maio qui a pris une raclée. C’est surtout dans le Sud que le M5S défend et conforte ses positions. Les divers groupes annexes du PD comme le groupe de Matteo Renzi végètent. Le PD est en baisse à 19 % à peine et Letta est sur un siège éjectable. Ceux qui disparaissent corps et biens, ce sont les amis italiens de Mélenchon, l’Unione Popolare, rassemblant Rifondazione, le PCI et diverses autres cabines téléphoniques d’extrême gauche — les sondages en font à peine mention. Ils récoltent 1,43 % des voix !
Sur le fond, les Italiens semblent totalement indifférents à cette élection. Ils ont faiblement voté : 64 %, ce qui est peu pour des Italiens ! La campagne a été de facto inexistante. Elle a agité les réseaux sociaux, les politiciens professionnels, et c’est à peu près tout. L’élection de Meloni a pas été saluée par des défilés de victoire ni par des rassemblements de protestation. La majorité du peuple comprend que, comme le titrait le Fatto Quotidiano, « on vote en Italie, mais on décide ailleurs ». Cette élection est donc fondamentalement une guignolade, un spectacle, car rien ne changera. L’étrange attelage Conte-Salvini de 2018 avait produit quelques débuts de changement, mais là il n’y aura rien. Meloni a donné des gages à l’UE et à l’OTAN. Elle s’est engagée à poursuivre la politique d’austérité de Letta. Elle a la bénédiction de Washington et continuera la contribution italienne en Ukraine. D’ailleurs Zélensky a salué la victoire de Meloni, espérant qu’elle allait renforcer sa collaboration..
Comment peut-on parler de fascisme ? Le fascisme est un parti révolutionnaire. Mme Meloni est surtout conservatrice. Le fascisme s’appuie sur des bandes armées en vue d’écraser le mouvement ouvrier. Mme Meloni n’a aucune bande armée et, de toute façon, il n’y a aucun mouvement ouvrier menaçant à écraser. Le fascisme est soutenu par le grand capital. Certes, celui-ci, rassuré, accepte la victoire de Meloni, mais Letta lui allait très bien ! Enfin le fascisme a un projet totalitaire, revendiqué par Mussolini en son temps. Meloni ne veut rien changer sur le fond. Son programme inclut la transformation de la République italienne en présidentialisme « à la française ». Pour le reste, elle est catholique et conservatrice en matière sociétale. Une Boutin qui aurait réussi ?
Il est vrai qu’elle récolte une partie du vote populaire. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle fait mine de prendre au sérieux la question de l’immigration. Elle veut reprendre la question là où le gouvernement Salvini-Conte l’avait laissée. Pour des raisons géographiques faciles à comprendre, l’Italie est le point d’arrivée privilégié des passeurs qui s’enrichissent sur le dos des migrants. Avec les pauvres et les réfugiés s’agglutinent la lie de la société, toutes sortes de mafias. Ainsi la petite station chic de Castel Volturno, au nord de Naples, est tombée entre les mains d’une mafia nigérienne qui s’en sert comme point d’appui pour le trafic de drogue et de chair de fraiche. Mais Meloni pointe surtout l’immigration musulmane. Elle veut défendre l’Italie contre la submersion et dit aux immigrés que ceux qui n’aiment pas la croix peuvent retourner les eux. Les classes moyennes supérieures peuvent rire de ces discours. Mais les gens d’en bas, qui tirent le diable par la queue, entendent Meloni, parce que, sur ce plan, elle dit ce qu’ils pensent.
Il y a une deuxième chose que Meloni prend au sérieux, quand elle défend « la famille naturelle » : à part dans les couches supérieures, tous les délires féministes nouvelle mode, LGB et trans sont massivement rejetés. Les gens en ont assez qu’on leur casse les pieds avec les histoires de cul des petits bourgeois. L’Italie n’a jamais été intolérante vis-à-vis des homosexuels, loin de là, mais les gens du peuple défendent la famille. Et ici encore Meloni vise juste.
Enfin Meloni est « nataliste ». Elle veut encourager les Italiennes à faire des enfants et propose des mesures sociales dans ce sens, mesures totalement incompatibles avec l’austérité et les directives de Madame UvL, la nouvelle dictatrice en chef de l’Europe. Mais il y a pour les Italiens un vrai problème, un problème de survie. Avec un taux de fécondité de 1,35 enfants par femme, l’Italie perdra un quart de sa population d’ici trente ans. Il y a déjà beaucoup de maisons vides, de magasins fermés, même sur les grandes avenues de Rome. On sait bien que les mesures natalistes ne peuvent pas grand-chose face à la perte de confiance dans l’avenir. Mais la position de Meloni n’est pas scandaleuse, ni fasciste.
On nous fait encore tout un tintouin sur l’IVG. Meloni est hostile à l’IVG – c’est tout de même son droit – mais ne propose pas d’en remettre en cause le droit. Pour nos bons gauchistes, disons qu’elle est ici sur la position de Pier Paolo Pasolini…
La seule chose qu’on peut vraiment reprocher à Meloni, c’est qu’elle a construit son succès sur une escroquerie. Beaucoup d’Italiens ont voté pour elle en croyant voter pour briser le carcan européiste qui les étrangle. Mais ils vont devoir dès demain déchanter. Tous les partis les ont trompés et Meloni aussi ! Comme ils auront tout essayé, peut-être seront-ils tentés par d’autres voies moins respectueuses des institutions, des « gilets jaunes » à l’italienne ou autre. L’avenir le dira.