H16
Le vendredi, c’est traditionnellement poisson. Ce jour-ci, ce sera du
Ordralfabétix, c’est-à-dire pourri, et par la tête comme il se doit.
La surprise est totale : on apprend par deux sources,
Investigate et
Disclose, que l’actuelle ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, est directement liée par des intérêts financiers et familiaux avec la seconde compagnie pétrolière en France, Perenco.
Apparemment, les trois enfants de la ministre – âgés de 5, 10, 13 ans en 2016 – et un de leurs cousins ont pris place à la table des actionnaires de cette société aux côtés de leur grand-père, Jean-Michel Runacher, à hauteur totale de plus d’un million d’euros.
La presse bruisse alors de question existentielles : y aurait-il eu un “oubli” dans les déclarations de la ministre au moment de sa prise de fonction, ou, pire, un conflit d’intérêt ?
Or, à peine ces informations révélées, Politico déboule et ajoute une nouvelle révélation : le logement qu’elle occupe actuellement chez son compagnon Nicolas Bays est
la propriété de la famille Dassault.
Sapristi, pourrait-il y avoir là un nouveau conflit d’intérêt ou, au moins, d’intéressantes passerelles de communication entre un gros industriel d’un côté et un ministre de l’autre ?
Venant d’un ministre de Macron dont on connaît l’attachement à la probité irréprochable de ses équipes, la stupéfaction est totale.
Bref, on assiste en quelques jours à une véritable accumulation de révélations, de découvertes et d’une bonne brouettée de choses qui, si elles ne sont pas condamnables en tant que telles, n’en sont pas moins éthiquement douteuses.
Si l’on doit féliciter la ministre pour son optimisation fiscale qui devrait être largement encouragée pour tous les Français qui n’ont pas tous la chance de bénéficier de conseils avisés d’un avocat fiscaliste chevronné tant il est du devoir de chaque citoyen de payer aussi peu d’impôt que possible, on doit cependant s’étonner qu’aucune déclaration n’ait entouré ce patrimoine généreusement dévolu à ses enfants et soigneusement mis à l’abri du fisc français : après tout, les règles républicaines semblaient claires.
Mais baste, passons.
Bien plus difficile à avaler et qui impose une éthique pliable à volonté, c’est le décalage entre l’actuelle mission de la ministre qui doit absolument tout faire pour vendre des isolations de logement et des pulls à cols roulés une transition énergétique vers de l’électricité verte à base de moulins et de miroirs, et de l’autre côté, son patrimoine constitué d’actions d’une société fermement ancrée dans les énergies non renouvelables qui font du bon gros CO2 bien dodu.
Grand écart qui illustre une fois de plus le Faites Ce Que Je Dis, Surtout Pas Ce Que Je Fais. La répétition de ce mantra, chez tous les politiciens actuels, est véritablement systématique et on ne peut s’empêcher d’observer une hypocrisie d’autant plus grande qu’elle se drape de vertu, cette dernière étant actuellement intégralement tournée vers la religion climatique.
D’autre part, cette petite pluie rapide de révélations n’est pas sans rappeler les précédents qui firent tomber d’autres politiciens : à chaque fois, la presse s’était retrouvée placée dans le rôle du toboggan, c’est-à-dire aussi lisse et inclinée que possible pour y faire glisser sans mal les victimes destinées à tomber droit dans les oubliettes de la politique. Fillon, Cahuzac, etc : quand un politicien doit tomber, il tombe.
Pour la petite Agnès, la presse n’a ainsi pas traîné à reprendre toutes les croustillantes informations découvertes par Disclose & Investigate puis Politico. On pourra, pour le contraste, comparer aux traitements médiatiques des affaires qui mouillent encore Darmanin ou Dupont-Moretti : de toboggan, la presse se transforme immédiatement en sables mouvants dans lesquels s’enfoncent doucement allégations, faits et rumeurs pour ne plus jamais reparaître. Le contraste est saisissant.
Pour savoir si l’actuelle ministre sera virée, il reste donc à voir combien de temps des informations continueront de filtrer. Au moins pourra-t-on se rassurer sur la capacité d’encaissement de la concernée en se rappelant que tout politicien, à plus forte raison ministre, et encore plus sous Macron, a été hontectomisé très jeune et qu’il n’a donc développé aucune notion d’éthique (ce qui explique d’ailleurs que certains politiciens, malgré leurs casseroles, leurs saillies navrantes et des affaires gluantes collées aux baskets, continuent d’encombrer le paysage politique français pourtant passablement plein).
Maintenant, on peut s’interroger : qui tente de faire tomber cette brillante ministre ?
On peut imaginer, dans l’ombre des petits papiers de la presse, moult ennemis d’opposition. Cependant, dans ce cas-ci, la clique du président, voire Macron lui-même, ne peuvent être écartés : difficile d’imaginer notre presse si servile lancer ce genre d’informations sans avoir eu l’imprimatur de l’Exécutif d’une façon ou d’une autre.
Peut-être le locataire de l’Élysée a-t-il été une fois de trop saoûlé par le ton gnangnan de la ministre ou sa maîtrise manifestement très approximative des dossiers et des messages politiques à distribuer (on se rappellera de la contre-performance olympique de la même Agnès lorsqu’il s’était agi de vanter le travail à la chaîne
qu’elle trouvait magique) ?
Plus probablement, peut-être le pouvoir actuel est il embarrassée par le fait qu’elle fut mariée à Marc Pannier, le président d’Engie Global Markets, et que son récent divorce ne lui donne plus exactement de levier pour rester au sein d’un gouvernement pas tout à fait connu pour son étanchéité avec les milieux d’affaires ? En outre, le fait qu’elle soit obligée, de par cette proximité personnelle avec un géant de l’énergie, de rester à l’écart de certains dossier a peut-être joué en sa défaveur au moment où il conviendrait de pousser tout le cheptel français vers l’abattoir la transition énergétique.
Et puis, toute éthique mise à part, peut-être est-il finalement trop embarrassant d’avoir une ministre emberlificotée avec une industrie pétrolière dans un gouvernement qui entend pourchasser les énergies fossiles (“jusque dans les chiottes” s’il le faut, n’est-ce pas Vlad) : allons-nous devoir bientôt dire au revoir à la pétroleuse de Lens ?
Qu’elle reste ou parte, c’est en tout cas une magnifique illustration de l’état général de la politique dans le pays : une éthique générale complètement absente, un ensemble de lois et d’encadrements pour les gueux mais rien ou presque pour les oints du pouvoir qui ont de toute façon une bonne capacité à les contourner, des conflits d’intérêts dans tous les sens, dont personne ne s’offusque et que tout le monde tait tant qu’il faut conserver les apparences et une presse complètement aux ordres, faisant et défaisant sur commande les princes et les princesses en fonction des besoins et sans plus aucun rapport avec le peuple ou les électeurs.
De même qu’il n’y a pas davantage de démocratie que de beurre en broche depuis plusieurs années dans le pays, il n’y a plus réellement de gouvernement.
Il n’y a plus que des clowns, des saltimbanques dont les performances sont, d’années en années, de plus en plus médiocres. Les ministres ne sont plus choisis sur leurs compétences (absentes ou carrément contre-productives) mais pour des raisons d’appareil, de politicaillerie pénible ou par renvoi d’ascenseur ou petite faveur qui en appellera une autre en retour. De l’intérêt de la nation, du peuple, de l’État, il n’est évidemment plus question depuis des lustres.
On le savait déjà sous tant d’autres prédécesseurs, mais c’est rapidement devenu visible à en être obscène, puis on a dépassé ce stade de très loin : au perchoir et dans les couloirs dorés de la République, les clowneries s’enchaînent, les pitreries se multiplient à tel point qu’à présent, lorsqu’il n’y a pas de casseroles, qu’il n’y pas de conflits d’intérêts, que la personne fait preuve de bon sens ou évoque de façon claire des sujets nécessaire, on est soit face à un perdant, soit face à un complotiste.